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Une bénédiction pour Led Zepplin

Rédacteur: Gabriel Bois

Le 9 mars 2020, la Cour d’appel des États-Unis pour le neuvième circuit rendait une décision sur le banc afin de renverser une décision datant de 2018, de rétablir le verdict de première instance de 2016 et d’ainsi gracier le légendaire groupe Led Zeppelin des plaintes de violation aux droits d’auteur auxquelles il faisait face.

La décision de première instance

En 2014, la succession de Randy Wolfe, guitariste du groupe Spirit, intentait une poursuite contre la formation de rock Led Zeppelin, ses membres Jimmy Page, Robert Plant, John Paul Jones ainsi que les maisons d’édition du célèbre acte musical. La succession alléguait que le mythique hymne rock « Stairway To Heaven », chanson la plus connue de Led Zeppelin, avait été copiée d’une chanson instrumentale intitulée « Taurus » et composée par Spirit avant même la parution de la chanson à succès « Stairway To Heaven » [1].

En 2016, le jury a rendu son verdict en faveur de Led Zeppelin ; « Stairway To Heaven » ne pouvait être considérée comme une copie de « Taurus ». Bien qu’il ait été admis que Led Zeppelin avait eu accès à « Taurus » – Jimmy Page allant même jusqu’à admettre devant le tribunal qu’il avait déjà possédé une copie de l’album sur lequel figurait « Taurus » – le jury a déterminé que les trois séquences de deux notes au cœur du litige n’étaient pas « intrinsèquement similaires » à celles présentes dans « Taurus » [2].

La décision de la Cour d’appel des États-Unis pour le neuvième circuit

La succession de Randy Wolfe a fait appel de la décision de première instance, ce qui fut accueilli en 2018 par la Cour d’appel des États-Unis pour le neuvième circuit (ci-après, la « Cour d’appel »). Ladite Cour a statué à ce moment que le juge de première instance avait commis une série d’erreurs lors de la gestion de l’instance [3]. Cependant, par sa décision sur le banc du 9 mars dernier, cette même Cour d’appel a réitéré, grâce à l’appui de neuf juges sur onze, que « Stairway To Heaven » n’enfreignait pas les droits d’auteur de « Taurus ». La Cour d’appel a ainsi validé la décision de première instance rendue en 2016 [4]. Ce verdict amène toutefois un changement important en propriété intellectuelle pour la Cour d’appel et soulève, par le fait même, de nombreuses questions sur le futur de ce domaine du droit.

Les motifs de la Cour d’appel

La Cour d’appel a basé sa décision sur trois arguments majeurs afin de rendre sa décision : la « Inverse Ratio Rule », les critères relatifs à l’originalité et aux arrangements ainsi que l’admissibilité en preuve des enregistrements sonores.

Tout d’abord, la Cour d’appel a reconnu que le Tribunal de première instance avait eu raison d’omettre la preuve des enregistrements sonores de « Taurus », car la portée des droits d’auteur de l’œuvre était définie par la copie déposée en 1967, qui consistait en une simple page d’arrangements musicaux [5]. En effet, le recours en question était limité à la composition musicale de « Taurus » qui avait été déposée devant le U.S. Copyright Office en 1967. De ce fait, le litige devait être jugé sur les bases du Copyright Act of 1909 [6] plutôt que sur celles du Copyright Act of 1976 [7]. Ainsi, le Tribunal de première instance n’avait pas commis d’erreur en refusant la production des enregistrements sonores de « Taurus », car les droits d’auteur en litige concernaient uniquement la composition musicale qui avait été déposée en 1967.

Ensuite, la Cour d’appel, sur le banc, a rejeté les allégations de la succession concernant les instructions erronées données au jury lors de l’audience de première instance. L’appelante avait pour argument que le Tribunal de première instance avait commis une erreur en omettant d’informer le jury quant à une protection des droits d’auteur relative à des éléments musicaux communs, tels que les arpèges, les gammes ou les séquences de trois notes [8]. La Cour d’appel a toutefois évité la question en avançant que la succession de Randy Wolfe n’avait pas plaidé devant le jury une théorie concrète à propos des arrangements musicaux et qu’elle avait omis de présenter en temps opportun une objection lors de l’explication des instructions au jury [9]. Pour ces raisons, l’appelante devait démontrer une erreur manifeste commise par le Tribunal de première instance, erreur qui n’a pas été démontrée en l’espèce.

Finalement, la Cour d’appel s’est prononcée par rapport à la « Inverse Ratio Rule », règle qui était en vigueur dans la juridiction du neuvième circuit. Cette règle controversée permettait à une partie qui souhaitait faire reconnaître ses droits d’auteur de répondre à une norme de preuve inférieure à ce qui était normalement requis. En effet, si un demandeur démontrait fortement que l’autre partie avait eu accès à l’œuvre du demandeur, il devenait plus simple pour le demandeur de prouver la similitude substantielle des œuvres [10]. Dans le cas en l’espèce, tel que susmentionné, il avait été démontré que Led Zeppelin avait eu accès à « Taurus » avant l’enregistrement de « Stairway To Heaven ». Ainsi, par l’application de la « Inverse Ratio Rule », la succession de Randy Wolfe aurait vu son fardeau de preuve s’alléger pour établir la similitude substantielle des œuvres, critère essentiel afin de démontrer une violation des droits d’auteur. Or, le Tribunal de première instance n’avait pas informé le jury de cette règle. Soutenant qu’une erreur manifeste avait été commise en omettant d’informer le jury de cette règle, la succession a vu son argumentaire rejeté par la Cour d’appel. Cette dernière a aussi profité de l’occasion qui se présentait pour abroger complètement cette règle, la considérant comme illogique et ambiguë [11].

Une douce mélodie aux oreilles des puissants

La Cour d’appel a donc finalement invalidé une règle qui n’était plus en vigueur dans de nombreuses autres juridictions américaines. La « Inverse Ratio Rule » semblait logique lorsque l’accès à la musique était restreint. À cette époque, s’il était démontré clairement qu’un artiste avait eu accès à la composition musicale supposément plagiée – par exemple, en ayant entendu la chanson – le fardeau de la preuve s’assouplissait pour le demandeur. Tel que mentionné plus tôt, l’application de cette règle aurait donné un avantage clair à la succession de Randy Wolfe. Il était toutefois plus difficile, auparavant, de démontrer le critère d’accès, car les moyens de transmission de musique étaient limités.

Cependant, les outils technologiques disponibles aujourd’hui amènent une toute nouvelle perspective au concept d’accès. Depuis l’arrivée des services de diffusion en continu– le streaming –, il est beaucoup plus facile de démontrer le concept d’accès, car il est devenu simple de plaider que la partie défenderesse aurait pu entendre l’œuvre plagiée [12]. Les YouTubeSpotify et SoundCloud de ce monde sont devenus des acteurs essentiels de l’industrie musicale et sont par le fait même primés par les consommateurs. Toutefois, ces plateformes sont conçues dans le but d’améliorer l’accessibilité à diverses œuvres. De plus, il est aujourd'hui plus facile de créer et diffuser sa musique en ligne grâce à ces plateformes. Pour toutes ces raisons, les chances qu’une personne ait entendu une certaine composition musicale – peut-être sans même s’en rendre compte – augmentent. En démontrant que la diffusion d’une chanson est large, notamment par le nombre d’écoutes sur les plateformes numériques, il devient plus simple de démontrer le critère d’accès, ce qui s’avère une source d’inquiétude pour de nombreux acteurs majeurs de l’industrie musicale [13].

L’abolition de la « Inverse Ratio Rule » peut ainsi sembler être une bénédiction pour les grandes maisons de disque, mais cette abolition permet toutefois de limiter les abus du système de justice avec l’aide d’une règle qui n’était visiblement plus adaptée. Puisque le droit de la propriété intellectuelle est intrinsèquement lié aux créations intellectuelles, ce domaine se doit d’être lui aussi en constante évolution. La Cour d’appel a décidé qu’elle ne pouvait rester inactive face aux bouleversements du monde numérique et que, par le fait même, la « Inverse Ratio Rule » n’avait plus sa place en 2020. Bien que la décision de la Cour d’appel soit majeure en soi, elle s’inscrit dans un courant de réforme nécessaire du droit de la propriété intellectuelle. Il sera intéressant de constater les implications de cette décision au sein du neuvième circuit, qui est notamment composé d’une grande partie de l’État de la Californie, berceau du divertissement en Amérique du Nord. Cependant, la décision pourra également illustrer à l’extérieur du neuvième circuit l’importance de réviser certaines règles de droit qui semblent acquises, mais qui n’ont peut-être plus leur place aujourd'hui.

Toutefois, le combat n’est peut-être pas encore fini pour Led Zeppelin ; le procureur de la succession de Randy Wolfe laissant planer une possibilité de porter le jugement en appel. Ainsi, la mythique formation de rock sera possiblement contrainte de monter à nouveau les escaliers… mais, cette fois, vers la Cour suprême des États-Unis. ​

SOURCES

1 BBC NEWS, « Led Zeppelin did not steal Stairway To Heaven riff, appeals court rules », bbc.com, en ligne : <https://www.bbc.com/news/entertainment-arts-51805905> (consulté le 20 mars 2020).

2 Samuel LEWIS, « Stairway to Heaven: End of the Inverse Ratio Rule Apophthegm », Law.com, en ligne : <https://www.law.com/dailybusinessreview/2020/03/16/stairway-to-heaven-end-of-the-inverse-ratio-rule-apophthegm/?slreturn=20200217114640> (consulté le 20 mars 2020). 

3 BBC NEWS, préc., note 1.

4 Skidmore v Led Zeppelin et al, 9th U.S. Circuit Court of Appeals, No. 16-56057.

5 Id.

6 An Act to amend and consolidate the acts respecting copyright, Pub. L. 60-349, 1909.  

7 The Copyright Act of 1976, Pub. L. 94-553, 1976.

8 David STEINBERG et James BERKLEY, « Ninth Circuit Rules In Favor Of Led Zeppelin, Clarifies Standards For Copyright Infringement », jdsupra.com, en ligne : <https://www.jdsupra.com/legalnews/appeals-court-rules-in-favor-of-zeppelin-10003/>(consulté le 21 mars 2020).

9 Id.

10 UNIVERSITY OF MICHIGAN, « Substantial Similarity », guides.lib.umich.edu, en ligne : <https://guides.lib.umich.edu/substantial-similarity/glossary> (consulté le 24 mars 2020).

11 David STEINBERG et James BERKLEY, préc., note 8.

12 Andrew DALTON, « Droits d’auteur: plus de procès à prévoir », La Presse, en ligne : <https://www.lapresse.ca/arts/musique/201908/03/01-5236154-droits-dauteur-plus-de-proces-a-prevoir.php> (consulté le 23 mars 2020).

13 Id.

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