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Le (vol de) temps, c'est de l'argent

Rédigé par Laura Frégeau

Récemment, la Saskatchewan Health Authority a dévoilé qu’un ancien employé avait falsifié ses heures travaillées pendant plus de 5 ans, pour un montant total s’élevant à 169 968$ [1]. Cet événement est l’exemple parfait de la gravité du vol de temps. En effet, lorsqu’il est ignoré et perdure, il peut avoir un impact énorme sur les entreprises. Le présent article tentera de définir ce qu’est le vol de temps, en plus de s’attarder aux sanctions possibles et aux logiciels de surveillance pouvant être mis en place par les employeurs afin de réduire les risques de vols de temps indétectés.

 

Comment « voler » du temps ?

Le vol de temps consiste en un manquement à l’obligation de loyauté qui incombe à tous.tes les employé.e.s [2]. Le vol de temps est une situation où l’employé.e est payé.e pour des heures qui n’ont pas réellement été travaillées, soit lorsque la prestation de travail n’équivaut pas à la rémunération [3]. Il est généralement lié à des actes frauduleux, comme la falsification des heures travaillées [4] ou encore l’utilisation du matériel informatique de l’employeur pour un usage personnel abusif [5].

 

On ne parle pas ici d’une brève conversation autour de la machine à café entre employé.e.s ou encore d’un.e employé.e prenant plus de temps que prévu pour accomplir une tâche. Ce genre de situations constitueraient plutôt de la perte de temps, un phénomène d’une gravité moindre, mais pouvant également mener à des sanctions [6]. D’ailleurs, la jurisprudence a statué qu’il n’y a pas lieu de parler de vol de temps  lorsqu’un.e employé.e se traîne simplement les pieds, soit qu’iel est en mesure d’accomplir toutes ses tâches, mais que cela lui prend plus de temps que ses collègues [7].

 

Les cas de vol de temps ne sont pas tous nés égaux

Ainsi, le vol de temps peut se manifester d’une multitude de façons au sein d’une entreprise. Que ce soit en dormant sur les heures de travail ou en naviguant sur Internet pour son usage personnel, un.e employé.e peut rapidement se retrouver dans l’eau chaude auprès de son employeur [8]. Il est cependant important de noter que ce ne sont pas toutes les situations de vol de temps qui entraînent un congédiement, notamment en raison de l’obligation de l’employeur de respecter le principe de la gradation des sanctions. Il est primordial de considérer l’ensemble des circonstances de l’affaire afin de déterminer la sanction appropriée, laquelle peut aller d’un simple avertissement à un congédiement [9].

 

En effet, plusieurs facteurs doivent être pris en compte afin de déterminer si la sanction est proportionnelle à la faute commise [10]. Il est possible de recenser tant des facteurs aggravants qu’atténuants et d’autres oscillant sur ce spectre selon les circonstances précises du dossier. Même si certains facteurs propres au cas ne sont pas mentionnés ci-dessous, il est important de considérer l’ensemble des faits lors de l’étape de l’appréciation des faits [11].

 

Commençons avec les facteurs aggravants. Le premier de ces facteurs à considérer est l’intention frauduleuse. Le fait qu’un.e l’employé.e cache ses faits et gestes en utilisant des manœuvres frauduleuses ou encore mente lorsqu’iel est confronté.e aux faits pourrait jouer en sa défaveur [12]. Deuxièmement, l’ampleur du vol de temps doit être considérée par le décideur ou la décideuse pour déterminer la sévérité de la sanction à appliquer. Ce facteur comprend l’étendue du vol dans le temps, la répétition et la quantité de temps volé [13]. Le troisième élément pouvant affecter la gravité de la sanction applicable est la nature de la faute. Ainsi, un.e employé.e qui vole du temps en consultant des sites pornographiques pourrait se voir attribuer une sanction plus sévère qu’une personne consultant des sites de recettes [14]. Le fait d’utiliser le temps volé à des fins commerciales ou concurrentielles, notamment pour gérer son entreprise personnelle, serait considéré comme un facteur aggravant lors de l’appréciation des faits [15].

 

Continuons avec les facteurs atténuants. Plusieurs facteurs comme un rendement satisfaisant, un dossier disciplinaire vierge et la tolérance de l’employeur peuvent militer en faveur de l’employé.e [16]. En effet, le fait que l’employeur fasse preuve de laxisme quant à, par exemple, l’utilisation du matériel informatique pour un usage personnel peut être interprété comme un facteur atténuant par les tribunaux [17].

 

Concluons avec les facteurs mixtes, soit les facteurs pouvant être aggravants ou atténuants selon le contexte. Il s’agit de l’ancienneté, du poste occupé et du degré d’autonomie accordé à l’employé.e [18]. Ainsi, plus l’employé.e occupe un poste clé au sein de l’entreprise ou encore plus iel détient un niveau élevé d’autonomie dans la réalisation de ses tâches, plus cela peut constituer un facteur aggravant [19]. Dans le cas de l’ancienneté, c’est plutôt l’inverse, et plusieurs années de services constitueront un facteur atténuant [20].

 

Utiliser des logiciels de surveillance lors de l’enquête

Pour que l’employeur puisse imposer une sanction pour vol de temps à un.e employé.e, il faut nécessairement que celui-ci obtienne l’aveu de l’employé.e ou encore ses propres éléments de preuve au moyen d’une enquête. Cette enquête devra être réfléchie et devra respecter les droits et protections accordés aux employé.e.s [21].

 

Avec l’avènement de nouvelles technologies et la popularité grandissante du télétravail, les employeurs doivent trouver de nouvelles façons de surveiller les employé.e.s et de faire leurs enquêtes. Nous pouvons notamment penser aux technologies de surveillance des appels et des ordinateurs [22]. Se pose alors la question de savoir si les logiciels de surveillance peuvent légalement être implantés et utilisés par les employeurs.

 

De prime abord, il importe de rappeler que l’employeur possède un droit de gérance [23], lequel lui permet de diriger et contrôler ses employé.e.s dans l’exécution du leur travail et, dans certains cas, de procéder à la surveillance des activités de ses employé.e.s. À première vue, une telle surveillance porte atteinte au droit à la vie privée des salarié.e.s [24]. Elle devra donc respecter les critères établis par la Cour d’appel dans l’arrêt Bridgestone, soit « [être] justifiée par des motifs rationnels, […] conduite par des moyens raisonnables […] [et] menée de la façon la moins intrusive possible » [25]. Ces critères s’appliquent avec plus de souplesse lorsqu’il est question d’une surveillance dans le cadre de l’emploi puisque l’expectative de vie privée est réduite lorsque l’employé.e est au travail [26].

 

Les logiciels de surveillance sont également soumis au respect des critères développés dans l’affaire Bridgestone. En effet, la Cour d’appel a récemment confirmé que ces critères sont applicables à tous les cas de surveillance, et ce, peu importe la technologie utilisée pour procéder à ladite surveillance [27]. Cela signifie alors qu’un employeur souhaitant utiliser un logiciel de surveillance doit s’assurer que cette condition de travail est raisonnable compte tenu des objectifs légitimes identifiés, soit lutter contre le vol de temps. Il ne faut évidemment pas tomber dans l’abus.

 

Mieux vaut prévenir que guérir

Dans un contexte où le télétravail prévaut plus que jamais, il devient de plus en plus important pour les employeurs de se renseigner sur les limitations associées aux logiciels de surveillance afin d’éviter de se mettre les pieds dans les plats. Il pourrait également être pertinent d’instaurer des politiques indiquant clairement aux employé.e.s ce qui est permis et ce qui ne l’est pas, afin de s’assurer que tous.tes soient sur la même page.

 

Cela étant dit, un employeur ne peut pas non plus s’attendre à ce que ses employé.e.s soient tous.tes des robots, inhumainement productifs et productives et réalisant leurs tâches en continu durant l’entièreté de leur journée de travail. Il faut laisser place à un minimum de socialisation pour favoriser un environnement de travail sain et un sentiment d’appartenance fort [28]. Il est donc crucial de s’assurer qu’il existe un bon équilibre entre la productivité et le bien-être des employé.e.s.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SOURCES

 

  1. Brooke KRUGER, « Former Sask. Health Authority employee altered timecards for 5 years, resulting in nearly $170K loss », Global News, 8 novembre 2022, en ligne : <https://globalnews.ca/news/9261371/sask-health-authority-employee-altered-timecards-loss/> (consulté le 15 mars 2023).

  2. Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art. 2088.

  3. Sylvain LEFEBVRE, « Naviguer sur Internet au travail : et si on nageait en eaux troubles ? », dans S.F.C.B.Q., vol. 293,  Développements récents en droit du travail, (2008), Cowansville, Éditions Yvon Blais,  p. 53, à la p. 87.

  4. Syndicat des travailleurs et des travailleuses du centre de réadaptation Les Filandières c. Centre de réadaptation La Myriade, 2002 QCSAT 45576; Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 4582 c. Garneau, 2021 QCCS 4505.

  5. Syndicat des employés municipaux de Belœil (SCFP) et Belœil (Ville de), D.T.E. 2007T-874 (T.A.).

  6. Daniel WYSOCKI, « Distinguer « vol de temps » et perte de temps : conseils à un employeur prudent et diligent », Bernier Fournier Inc., 9 novembre 2015, en ligne : <https://www.bernierfournieravocats.com/publications/2015/11/09/distinguer-vol-de-temps-et-perte-de-temps-conseils-a-un-employeur-prudent-et-diligent/> (consulté le 22 février 2023).

  7. Jolicoeur ltée c. Bélanger, 2007 QCCS 5640, par. 33 et 34.

  8. Ville de Québec c. Syndicat des employés manuels de la Ville de Québec, 2013 QCSAT 61519.

  9. Syndicat du personnel de soutien de la Commission scolaire des Patriotes (CSN) c. Commission scolaire des patriotes, 1997 QCCA 10268.

  10. Luc BEAULIEU et Philipe LEVAC, « Les litiges qui découlent de l’usage des nouvelles technologies en contexte d’emploi : quelques réflexions et perspectives des employeurs », dans Mes amis facebook, moi et mon emploi : l'arbitrage de grief à l'ère des réseaux sociaux, Montréal, Wilson & Lafleur, 2012, p. 91.

  11. S. LEFEBVRE, préc., note 3, p. 89.

  12. Id., p. 89; Syndicat des spécialistes et professionnels d'Hydro-Québec c. Hydro-Québec, 2003 QCSAT 20475.

  13. Id., p. 92.

  14. Id., p. 101.

  15. Id., p. 106; Houle c. Commission des relations du travail, 2011 QCCS 3152.

  16. S. LEFEBVRE, préc., note 3, p. 110 et 115.

  17. Id., p. 115.

  18. Id., p. 108 et 110.

  19. Id., p. 109.

  20. Id., p. 111.

  21. Catherine MASSÉ-LACOSTE et Camille G. GRENON, « Télésurveillance : le contrôle de la prestation de travail à l’ère du télétravail et ses limites », dans S.F.C.B.Q., vol. 511, Développements récents en droit du travail (2022), Montréal, Éditions Yvon Blais, p. 3, à la p. 13.

  22. Id., p. 35.

  23. Code civil du Québec, préc., note 2, art. 2085.

  24. Id., art. 35, 36, 37 et 2087; Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12, art. 5.

  25. Syndicat des travailleurs(euses) de Bridgestone Firestone de Joliette (csn) c. Trudeau, 1999 QCCA 13295, par. 35 et 36.

  26. Ste-Marie c. Placements J.P.M. Marquis Inc., 2005 QCCA 312, par. 27.

  27. Syndicat des fonctionnaires municipaux de Québec (FISA) c. Ville de Québec, 2022 QCCA 115.

  28. RANDSTAD CANADA, « pourquoi socialiser avec ses collègues est important », 18 mars 2022, en ligne : <https://www.randstad.ca/fr/chercheurs-demplois/ressources-carriere/culture-dentreprise/limportance-de-socialiser-avec-ses-collegues/> (consulté le 17 mars 2023).

 

 

Photo

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