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Roxham: Le chemin du possible

Rédigé par Andrea Eva Benzo

Selon Statistique Canada, en date d’aujourd’hui, environ 500 000 résident.e.s seraient en situation irrégulière au Canada [1]. Autrement dit, cela signifie qu’un demi-million de résident.e.s sont entré.e.s au pays autrement que par un point d’entrée officiel. D’ailleurs, en 2022, 99.3 % de ces entrées irrégulières se sont faites au Québec [2], mais plus particulièrement par le Chemin Roxham, où l’on estime entre 40 000 et 50 000 entrées irrégulières, et ce, seulement pour l’année 2022 [3].

 

Il appert que l’effet de la législation régissant les demandes d’asile tendrait à encourager ce phénomène. Conséquemment, non seulement le droit en vigueur aurait des répercussions alarmistes sur l’économie et le système d’immigration canadien, mais il encouragerait également des manœuvres périlleuses pour la vie de personnes qui fuient la terreur, la guerre et la persécution. Ainsi, le présent article tentera de démystifier le cadre juridique donnant lieu à la situation du Chemin Roxham. Plus particulièrement, cet article portera sur la demande d’asile au Canada, l’Entente sur les pays tiers sûrs et ses effets contreproductifs sur le système d’immigration canadien. 

 

 

Demander l’asile au Canada

La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (ci-après « CISR ») est le plus grand tribunal administratif indépendant au Canada [4]. Il est composé de quatre tribunaux administratifs [5] : la Section de l’immigration (ci-après « SI »), la Section d’appel de l’immigration (ci-après « SAI »), la Section de la protection des réfugiés (ci-après « SPR ») et la Section d’appel des réfugiés (ci-après « SAR »). Dans le cadre d’une demande d’asile, ce sont la SPR et la SAR qui interviennent, sous réserve, notamment dans des cas d’interruption de la demande d’asile [6].

 

En vertu de l’article 99(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (ci-après « LIPR »), la demande d’asile peut être faite à l’étranger par demande de visa ou au Canada [7]. Lorsqu’elle est faite au Canada, c’est avant tout par l’entremise d’un examen de la demande auprès d’un.e agent.e de l’Agence des services frontaliers du Canada (ci-après « ASFC ») qui l’examinera et qui se prononcera ensuite sur sa recevabililité [8]. Cette demande peut être irrecevable dans plusieurs cas, notamment lorsque le demandeur ou la demanderesse a déjà présenté une demande d’asile et que celle-ci a été rejetée ou encore lorsque cette personne est reconnue comme un.e réfugié.e par un autre État [9].

 

Chose faite, l’agent.e de l’ASFC défère la demande jugée recevable à la SPR pour que cette dernière décide si le demandeur ou la demanderesse d’asile est un ou une réfugié.e au sens de la LIPR [10]. Cette décision peut se fonder sur l’article 96 de la LIPR qui prévoit la qualité de réfugié.e à la personne qui craint avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques [11]. Le demandeur ou la demanderesse peut aussi se voir octroyer le statut de réfugié.e s’il ou elle se trouve dans les situations plus particulières et personnelles prévues à l’article 97(1) de la LIPR [12]. Quoiqu’il en soit, l’article 110(1) de la LIPR permet de porter en appel, sous demande du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [13] ou de la personne en cause, la décision de la SPR qui a accepté ou rejeté la demande d’asile [14].

 

 

Quand l’irrégularité avantage

Comme mentionné précédemment, la demande d’asile canadienne se fait à l’étranger ou au Canada. Lorsqu’elle est faite au Canada, elle doit être faite à un point d’entrée ouvert. Il s’agit d’une liste d’aéroports du Canada et de centres de déclaration pour les petits navires ainsi que des entrées terrestres telles que les bureaux frontaliers ou les douanes [15]. La demande d’asile se fait donc irrégulièrement lorsqu’elle se fait ailleurs qu’à ces points d’entrée officiels.

 

Par ailleurs, considérant la panoplie d’options sécuritaires destinées à la présentation d’une demande d’asile [16], la question se pose à savoir pour quelles raisons autant de demandeurs et demanderesses d’asile passent par des points d’entrée irréguliers malgré le danger substantiel [17]. La réponse repose dans l’analyse de l’Entente sur les tiers pays sûrs (ci-après « Entente ») et les avantages qu’elle confère aux demandeurs et demanderesses d’asile qui cherchent à entrer au Canada par un endroit autre qu’un point d’entrée.

 

De prime abord, la notion de « tiers pays sûrs » apparait en droit canadien dès 1988 [18]. La désignation d’un pays qui en fait l’objet se fait par voie réglementaire par le gouverneur en conseil. Ce faisant, pour désigner un tel pays, ce dernier doit considérer des facteurs prévus par la loi [19]. Ceux-ci sont énumérés au paragraphe 102(2) de la LIPR comme suit [20] :

102 (1) Les règlements régissent l’application des articles 100 et 101, définissent, pour l’application de la présente loi, les termes qui y sont employés et, en vue du partage avec d’autres pays de la responsabilité de l’examen des demandes d’asile, prévoient notamment :

a) la désignation des pays qui se conforment à l’article 33 de la Convention sur les réfugiés et à l’article 3 de la Convention contre la torture;

b) l’établissement de la liste de ces pays, laquelle est renouvelée en tant que de besoin;

c) les cas et les critères d’application de l’alinéa 101(1)e).

 

En vertu de cette disposition, le 5 décembre 2022, l’Entente sur les pays tiers sûrs a été adoptée [21]. Comme mentionné dans son préambule, elle a pour objectif de partager avec les États-Unis les responsabilités en matière de demandes d’asile [22]. En effet, cette entente prévoit une stratégie commune afin de faciliter le traitement des demandes d’asile, tout en respectant le droit des réfugié.e.s [23]. Parmi les fonctions de cette stratégie, l’une d’entre elles est de rendre irrecevable au Canada une demande d’asile présentée à un point d’entrée terrestre par une personne qui provient d’un pays sûr, et ce, en vertu de l’article 101(1)e) de la LIPR [24]. Cependant, cet article ne s’applique pas au demandeur ou à la demanderesse d’asile qui cherche à entrer au Canada par un port ou un aéroport ou encore par un point d’entrée irrégulier [25].

 

En outre, alors que ceux et celles qui entrent par des points d’entrées terrestres officiels se voient rejeter leur demande d’asile, ces derniers et ces dernières ne peuvent non plus interjeter appel de cette décision [26]. Ce n’est néanmoins pas le cas pour ceux et celles dont la demande n’est pas irrecevable au sens de l’article 101(1)e) de la LIPR [27]. Ainsi, les demandeurs et demanderesses d’asile qui passent par un point d’entrée irrégulier sont avantagé.e.s principalement de deux manières : leur demande n’est pas irrecevable et ils et elles ont un droit d’appel à la SAR.

 

 

Un passage coûteux et dangereux

Compte tenu des avantages que confère l’Entente aux demandeurs et demanderesses qui passent par des points d’entrée irréguliers, celle-ci a contribué significativement aux entrées irrégulières au Canada [28]. Contrairement au préambule de l’Entente qui énonce vouloir simplifier le traitement des demandes d’asile, nous nous rendons compte qu’elle permet plutôt la mise en place d’un système parallèle : celui des demandes irrégulières. En conséquence, la hausse des demandes d’asile résultant de passages irréguliers a engendré des coûts considérables pour le Canada [29]. Par exemple, des frais additionnels se sont non seulement ajoutés pour la mise en place d’infrastructures plus sécuritaires près du Chemin Roxham, mais nous devons aussi prendre en considération le salaire des agent.e.s additionnel.le.s de la GRC qui sont sur place, le coût des équipes médicales et du transport vers les centres de détention, etc. [30]. 

 

Le prix de ces ressources cause également des difficultés financières importantes pour l’État. Selon le rapport du Directeur parlementaire du budget, le budget pour les coûts additionnels aux diverses agences fédérales s’est élevé à 396 millions de dollars en 2020, alors que le gouvernement fédéral avait prévu 173,2 millions de dollars à cette fin [31]. Ainsi, en raison d’un flux migratoire croissant et d’une stratégie désavantageuse pour le système d’immigration, l’Entente sur les pays tiers sûrs ne permet pas de faciliter le traitement des demandes d’asile, mais bien l’inverse.

 

 

Conclusion 

À la lumière de ce qui précède, l’Entente sur les tiers pays sûrs encourage les demandes d’asile présentées à la suite d’un passage irrégulier en raison de la recevabilité de la demande et du droit d’appel à la SAR : des choses qui ne sont pas aussi facilement accessibles pour les demandes faites à un point d’entrée officiel. D’ailleurs, comme nous l’avons vu, ces demandes irrégulières engendrent des dépenses qui causent de sérieux ennuis financiers pour l’État canadien. En outre, étant donné que 99.3 % des entrées irrégulières se font par le Chemin Roxham, certain.e.s dirigeant.e.s suggèrent de fermer ce passage [32]. Toutefois, selon certain.e.s auteur.e.s, fermer le Chemin Roxham pousserait des personnes à trouver d’autres chemins vers le Canada qui sont beaucoup plus dangereux [33]. De ce fait, il faudrait modifier ou mettre un terme à l’Entente sur les tiers pays sûrs, chose qui est à l’ordre du jour de la rencontre entre le premier ministre Justin Trudeau et le président américain Joe Biden en mars 2023 [34].

 

  1. Michel C. AUGER, « Chemin Roxham : quelques chiffres pour comprendre », La Presse, 22 février 2023, en ligne : <https://www.lapresse.ca/debats/chroniques/2023-02-22/chemin-roxham/quelques-chiffres-pour-comprendre.php> (consulté le 18 février 2023).

  2. Me Stéphane HANDFIELD, « Pour en finir avec le chemin Roxham », Le Devoir, 8 novembre 2022, en ligne : <https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/769851/libre-opinion-pour-en-finir-avec-le-chemin-roxham> (consulté le 17 février 2023).

  3. Romain SCHUÉ, « Près de 100 000 demandeurs d’asile au Canada l’an passé », Radio-Canada, 21 janvier 2023, en ligne : <https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1949965/asile-roxham-canada-record> (consulté le 17 février 2023).

  4. GOUVERNEMENT DU CANADA, « Commission de l’immigration et du statut de réfugié au Canada », Gouvernement du Canada, 2023, en ligne : <https://www.canada.ca/fr/immigration-statut-refugie.html> (consulté le 18 février 2023).

  5. Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27, art. 151.

  6. Id., art. 103(1).

  7. Id., art. 99(1).

  8. Id., art. 101(1)

  9. Hamami c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 22.

  10. Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, préc., note 6, art. 101(1) in fine.

  11. Id., art. 96.

  12. Id., art. 97(1).

  13. Id., art. 4(1).

  14. Id., art. 110(1).

  15. AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA, « Répertoire des bureaux et des services de l’ASFC », CBSA ASFC, 2023, en ligne : <https://www.cbsa-asfc.gc.ca/do-rb/openpoe-temp-pdeouvert/air-aerien-fra.html> (consulté le 21 février 2023).

  16. Id.

  17. Suzanne COLPRON, « Un chemin risqué gagne en popularité », La Presse, 17 janvier 2023, en ligne : <https://www.lapresse.ca/actualites/2023-01-17/un-chemin-risque-gagne-en-popularite.php> (consulté le 17 février 2023).

  18. Hélène MAYRAND et Andrew SMITH-GRÉGOIRE, « À la croisée du chemin Roxham et de la rhétorique politique : démystifier l’Entente sur les tiers pays sûrs », (2021), 48-3 RDUS 321, 336-348.

  19. Canada c. Conseil canadien pour les réfugiés, 2008 CAF 404.

  20. Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, préc., note 6, art. 102(2).

  21. Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique pour la coopération en matière d’examen des demandes de statut de réfugié présentées par des ressortissants de pays tiers, 5 décembre 2002, R.T.C., (entré en vigueur au Canada le 29 décembre 2004).

  22. Id.

  23. Kreishan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223, par. 4.

  24. Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, préc., note 6, art. 101(1)e).

  25. Règlement sur l’immigration et la protection de réfugiés, DORS/2022-227 (Gaz. Can. II), art. 159.4(1).

  26. Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, préc., note 6, art. 110(2)d)ii).

  27. Id.

  28. H. MAYRAND et A. SMITH-GRÉGOIRE, préc., note 19, p. 344.

  29. Id.

  30. Id.

  31. Yves GIROUX, « Coût de la migration irrégulière à la frontière sud du Canada », Ottawa, Bureau du directeur parlementaire du budget, 2018, en ligne: <https://www.pbo-dpb.gc.ca/web/default/files/Documents/Reports/2018/ Irregular%20migrants/Irregular_Migration_Report_FINAL_FR_2018-11-29.pdf> (consulté le 18 février 2023).

  32. TVA NOUVELLES, « L’entente sur les tiers pays sûrs au menu de la visite de Biden », TVA Nouvelles, 22 février 2023, en ligne : <https://www.tvanouvelles.ca/2023/02/22/lentente-sur-les-tiers-pays-surs-au-menu-de-la-visite-de-biden> (consulté le 7 mars 2023).

  33. Id.

  34. Id.

 

Source de l'image: < https://pivot.quebec/2022/08/16/recit-demander-lasile-au-chemin-roxham/ >.

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