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La responsabilité médicale : un concept encore plus complexe en temps depandémie

Rédactrice: Anaïs de Yparraguirre

Nous pouvons tous affirmer avec certitude que l’année 2020 sera marquée dans l’histoire par l’arrivée de la pandémie de la COVID-19, épidémie qui nous plonge encore aujourd’hui dans un état d’urgence sanitaire officiellement déclaré le 13 mars 2020 [1]. Nos travailleurs de la santé font de plus en plus la une : ils tiennent à bout de bras un réseau de la santé qui, malgré lui, dépend des efforts communautaires accomplis par sa population. Nous, citoyens, sommes redevables, et, dans un sens, responsables de la qualité de leur milieu de travail actuel. De leur côté, qu’en est-il de leurs responsabilités? Même hors d’un contexte de crise sanitaire, la responsabilité médicale est un enjeu important dans le bon fonctionnement de notre système de santé actuel ; cette responsabilité découle précisément d’une série de lourdes obligations imposées au corps médical de par l’importance de la pratique de leur métier. Dans une situation où la gestion de cette crise dépend directement du rôle central de ces professionnels, des obligations supplémentaires leur incombent-elles?

D’abord, il est pertinent de faire un rappel des fondements juridiques en matière de responsabilité médicale. Celle-ci est tout simplement une branche de la responsabilité civile, ce qui signifie qu’elle suit la même logique. À cet effet, pour déterminer s’il y a naissance d’un droit à une réparation (telle qu’une compensation financière, par exemple), trois éléments sont essentiels : une faute, un préjudice ainsi qu’un lien de causalité entre les deux [2]. Généralement, les obligations qui incombent aux établissements de santé et au corps médical sont des obligations de moyens [3]. D’ailleurs, ces obligations sont mutuelles : un établissement hospitalier peut être poursuivi au même titre qu’un médecin pour une obligation qui n’a pas été dument remplie [4]. Il existe cependant des obligations qui sont propres aux établissements de santé, et d’autres qui incombent seulement au personnel de la santé. 

Obligations des établissements de santé

 

Les obligations propres aux établissements de santé découlent essentiellement de la Loi sur les services de santé et les services sociaux [5]. En effet, c’est dans cette loi que sont établis entre autres les différents objectifs poursuivis par ces établissements (article 1), le mode d’organisation des ressources (article 2), les lignes directrices quant à la gestion des services (article 3), les fonctions des établissements (article 100) et les droits des usagers. 

 

En temps de pandémie, l’article 9 du Règlement sur l’organisation et l’administration des établissements [6] s’avère particulièrement pertinent. Il prévoit que : 

9. Un établissement, à l’exception d’un centre de services sociaux, doit prendre les dispositions qui s’imposent pour prévenir et enrayer la contagion et l’infection. Il doit être en mesure d’isoler les personnes atteintes, ou susceptibles de l’être, d’une maladie contagieuse ou infectieuse. En cas d’épidémie, l’établissement peut décider d’une fermeture totale ou partielle. (nos soulignements)

Ainsi, le défaut de faire le nécessaire pour isoler un patient atteint de la COVID-19 pourrait représenter une omission imputable à l’établissement. L’arrêt Downey v. St. Paul’s Hospital [7] est un bon exemple de cette responsabilité qui incombe à l’établissement. Dans cette affaire, l’hôpital est poursuivi par un visiteur pour avoir prétendument failli à son obligation d’isoler un patient tuberculeux à qui il venait rendre visite de son plein gré. Cependant, il est finalement conclu qu’en fréquentant un hôpital en tant que visiteur, une personne peut raisonnablement s’attendre à contracter plus facilement certains virus. L’établissement n’a pas à prévenir les visiteurs de tous les risques que présentent les usagers possiblement contagieux; il suffit qu’il ait pris les moyens nécessaires pour rendre les lieux les plus sécuritaires possibles pour se dégager de sa responsabilité. De surcroit, étant donné que seul le préjudice qui est une suite immédiate et directe de la faute est susceptible d’être compensé [8], en contexte de pandémie, la preuve du demandeur devra être très étoffée pour prouver selon la balance des probabilités [9] que la contraction du virus découle directement de la faute de l’établissement [10]. Autrement dit, puisque le virus est partout, il s’avère presque impossible d’établir qu’une personne a contracté le virus spécifiquement dans l’établissement et non pas en allant à l’épicerie, en marchant au parc, en allant travailler, et ainsi de suite. 

 

L’article 10 du même règlement s’avère aussi central. On peut y lire que : 

10. Un établissement doit s’assurer que chaque personne y œuvrant se soumette aux normes déterminées par le chef du département de santé communautaire en matière d’hygiène, de prophylaxie et de contrôle microbiologique et chimique. 

Il s’agit d’un autre exemple de manquement pour lequel un établissement pourrait être sanctionné, et ce, particulièrement en temps de pandémie alors que la santé publique instaure des normes très sévères pour tout établissement qui demeure ouvert au public. 

Obligations du personnel de la santé

Il existe aussi des obligations particulières aux membres du corps médical. Bien que celui-ci soit composé autant d’infirmiers [11] que de médecins, de pharmaciens et de bien d’autres employés, par souci de simplicité, je ferai état seulement des obligations propres aux médecins, lesquelles découlent en grande partie du Code de déontologie des médecins [12].

D’abord, dans un contexte d’urgence sanitaire telle une pandémie, les médecins doivent prodiguer des services médicaux et ne peuvent refuser de soigner un patient en raison d’un motif discriminatoire, incluant la contraction par le patient d’une maladie particulière [13]. Autrement dit, il est actuellement interdit pour un médecin de refuser de traiter un patient atteint de la COVID-19 sous prétexte qu’il serait risqué d’entrer en contact avec lui [14].

Les médecins travaillant en unité COVID-19 ou en unité de soins intensifs ont encore davantage de responsabilités en temps de pandémie. En effet, en automne 2020, un protocole de priorisation pour l’accès aux soins intensifs en contexte extrême de pandémie [15] a été mis en place par le gouvernement du Québec, imposant une procédure précise aux médecins dans une situation où l’établissement manque de ressources et doit privilégier le traitement de certains patients en soins intensifs [16]. La nécessité d’un tel protocole est évidente : elle découle d’une forte surcharge de patients dans les soins intensifs. Dans l’ensemble, ce document élabore un code de conduite pour les médecins qui auront à prioriser des patients pour l’octroi des soins. Il peut s’agir d’un cas éthique très lourd pour les membres de l’équipe soignante : comment déterminer quel patient prioriser? Pour alléger le poids de cette responsabilité, des équipes de professionnels de la santé ont été formées de manière à qu’aucun médecin n’ait à subir les impacts d’une telle décision à lui seul. Évidemment, le protocole établit aussi que tout médecin faisant face à une situation de conflit d’intérêts doit se récuser pour assurer une décision totalement objective [17]. 

Dans un contexte plus général, tout médecin se doit de respecter les mesures imposées par la santé publique [18]. Ainsi, si le médecin soupçonne avoir lui-même contracté le virus et qu’il continue tout de même de prodiguer des soins, un tel acte pourrait représenter une faute et un manque de diligence envers ses patients. De telles circonstances pourraient même mener à une action en justice, à une plainte intra hospitalière ou à une plainte au Collège des médecins [19]. Certaines mesures sont aussi imposées par l’établissement pour lequel le professionnel de la santé travaille. Par exemple, il est présentement obligatoire pour certains établissements que toute personne y travaillant se fasse vacciner. Un médecin qui refuserait de respecter la politique de vaccination obligatoire de son établissement pourrait s’exposer à des répercussions, telles que des mesures correctives ou disciplinaires de la part de l’hôpital ou de l’autorité en matière de santé, ou encore à une enquête menée par le Collège des médecins [20].

Il existe aussi un débat concernant l’obligation du médecin de signaler un patient atteint de la COVID-19 qui contourne les consignes de la santé publique, notamment en refusant de s’isoler. Certes, ce cas particulier représente une situation où le patient ne respecte pas les recommandations du médecin, mais ce dernier a-t-il pour autant l’obligation de dénoncer son patient? Il a été établi 

«qu’en plus de devoir possiblement s’acquitter de ces obligations légales, les médecins pourraient également avoir le devoir déontologique de signaler un patient à l’agence de la santé publique pertinente s’ils estiment de façon raisonnable que ce patient risque de porter préjudice à autrui en refusant de s’isoler» [21]. 

 

Bref, il est évident que les conditions actuelles peuvent mener à plus d’erreurs de la part de notre personnel de la santé : un plus grand nombre de responsabilités peut forcément impliquer une plus grande probabilité de commettre une erreur, une omission, un oubli. Néanmoins, une poursuite contre un établissement de la santé ou contre un membre tenu personnellement sera sans aucun doute analysée en concordance avec le contexte de la pandémie, et leurs faux pas seront accueillis avec beaucoup plus d’indulgence qu’en temps normal. 

Cependant, qu’en est-il des fautes médicales ou hospitalières qui découlent des choix gouvernementaux? Comment justifier une poursuite contre un établissement de la santé ou, pire encore, contre un membre de son personnel, alors que son erreur découle directement d’une coupure des ressources (humaines, matérielles ou financières) allouées par le gouvernement? Spécifiquement en temps de COVID-19, comment justifier une telle poursuite alors que le corps médical dénonce la présence de profondes lacunes dans notre système de santé depuis des années, mais que le gouvernement omet d’écouter ses demandes? Dans de telles circonstances, à qui revient réellement la faute? ​

Sources

[1] Décret no. 177-2020 du 13 mars 2020.

[2] Matthieu DÉSILETS, « Responsabilité institutionnelle dans un contexte de pandémie : la nécessité d’une prévention contagieuse », 3 octobre 2009, en ligne : https://monette-barakett.com/publications/chroniques-juridiques/responsabilite-institutionnelle-dans-un-contexte-de-pandemie-la-necessite-d’une-prevention-contagieuse/.

[3] Audrey GAGNON, « La responsabilité des intervenants du milieu de la santé dans le contexte de la pandémie de COVID-19 », 30 avril 2020, en ligne : https://www.fasken.com/fr/knowledge/2020/04/30-covid19-responsabilite-intervenants-sante-dans-contexte-pandemie#authors. Une obligation de moyen est celle en vertu de laquelle la partie qui doit remplir l’obligation doit déployer ses meilleurs moyens pour atteindre l’objectif. Elle s’oppose à l’obligation de résultat, pour laquelle la partie s’engage à atteindre à tout prix un résultat (ou un objectif) déterminé.  

[4] A. GAGNON, « La responsabilité des intervenants du milieu de la santé dans le contexte de la pandémie de COVID-19 », supra note 3.

[5] Loi sur les services de santé et les services sociaux, RLRQ, c. S -4.2.

[6] Règlement sur l’organisation et l’administration des établissements, RLRQ, c. S-5, r. 5.

[7] Downey v. St. Paul’s Hospital, 2007 BCSC 478.

[8] Art.1457 C.c.Q.

[9] La balance des probabilités est le fardeau de preuve applicable en matière civile. Elle s’oppose au fardeau de preuve hors de tout doute raisonnable applicable en matière pénale et criminelle. 

[10] M. DÉSILETS, « Responsabilité institutionnelle dans un contexte de pandémie : la nécessité d’une prévention contagieuse », supra note 2. 

[11] L'emploi du genre masculin a pour seul but d'alléger le texte et d'en faciliter la lecture.

[12] Code de déontologie des médecins, L.R.Q., c. M-9, r. 4.1.

[13] Ibid. Article 38. 

[14] GERMAIN, I., F. LESSARD ET J. PAMERLEAU, « Contexte de la COVID-19 : responsabilité, devoirs et droits des médecins », 20 avril 2020, en ligne : https://steinmonast.ca/nouvelles-et-ressources/contexte-de-covid-19-responsabilite-devoirs-droits-medecins/

[15] Protocole de priorisation pour l’accès aux soins intensifs (adultes) en contexte extrême de pandémie, en ligne : https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/directives-covid/dgaumip-007_protocole.pdf.

[16] Association canadienne de protection médicale, « Protocole de priorisation pendant la pandémie de COVID-19 », juin 2020, en ligne : https://www.cmpa-acpm.ca/fr/advice-publications/browse-articles/2020/navigating-triage-protocols-amid-covid-19.

[17] Protocole de priorisation pour l’accès aux soins intensifs (adultes) en contexte extrême de pandémie, supra note 15.

[18] Association canadienne de protection médicale, « Obligations et droits des médecins (FAQ) », en ligne : https://www.cmpa-acpm.ca/fr/covid19/physician-obligations-and-rights. 

[19] Ibid. 

[20] Association canadienne de protection médicale, « Vaccination (FAQ) », en ligne : https://www.cmpa-acpm.ca/fr/covid19/vaccination.

[21] ACPM, « Obligations et droits des médecins (FAQ) », supra note 18. 

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