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L’accès à la justice et le profilage racial

Par le Comité Accès à la justice

L’accès à la justice est une notion large qui ne se limite pas au seul problème d’accès aux tribunaux. Au contraire, ces enjeux d’accès à la justice peuvent être indirects [1]. Ils sont pourtant bien présents dans le quotidien de la population. En effet, ces enjeux peuvent se manifester de différentes façons et parfois de manière si subtile qu’il peut être difficile de les comprendre pour ceux et celles qui sont à l'abri du problème [2]. Au Québec, la question du profilage racial est l’un de ces enjeux qui permettent de remettre en perspective la problématique du racisme et qui créent plusieurs remous dans le système de justice [3]. Cette discrimination est ancrée au sein même des services policiers québécois. Notamment, à Montréal, les individus noirs, arabes et autochtones sont 4 à 5 fois plus interceptés par les policier.ère.s que les individus blancs [4]. Avec un peu de recul, nous pourrions même dire que ces interceptions s’apparentent à un contrôle d’identité plutôt qu’à autre chose. Les institutions policières étant des acteurs importants au niveau judiciaire, il est nécessaire de se questionner sur les impacts de ces pratiques sur les droits de chacun.e.

Récemment, le système de justice a dû se positionner sur ce genre de conduite. En effet, la décision Luamba c. Procureur général du Québec rendue par le juge Michel Yergeau de la Cour supérieure fait en sorte qu’il sera maintenant interdit aux policier.ère.s de faire une interception routière sans motif valable [5]. Cette décision renverse une jurisprudence établie il y a plus de 30 ans par la Cour suprême du Canada : l’arrêt Ladouceur [6]. Ainsi, cela met fin à une pratique qui était devenue discriminatoire par sa nature. Les questions centrales du dossier reposent sur la validité constitutionnelle de la règle de common law et de l’article 636 du Code de la sécurité routière [7] qui autorisent l’interception d’un conducteur ou d’une conductrice d’un véhicule routier en toute légalité sans aucune raison valable, et ce, dans l’unique but de procéder à des vérifications [8]. À vrai dire, ce qui a permis à la Cour supérieure de s’écarter du précédent établi par la plus haute instance du pays est le soulèvement d’une nouvelle question de droit [9].

N’ayant pas reçu une interprétation complète dans l'arrêt Ladouceur [10], l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [11] (ci-après « Charte ») est analysé dans cette affaire afin de vérifier la validité de la loi au regard de la dignité de l’être humain dans un contexte où le caractère arbitraire d’une autorité étatique peut jouir d’une portée excessive et d’une disproportion des plus totales [12].

 

L’interprétation de l’ensemble de la Charte, dont l’article 7 [13] présente la dignité humaine comme étant le cœur de la loi constitutionnelle [14]. De plus, il a été argué qu’un pouvoir coercitif étatique ciblant et exposant des personnes issues de minorités visibles à un traitement discriminatoire laisse des répercussions fatidiques sur celles-ci. Ainsi, ce pouvoir se doit d’être reconnu comme contraire à la valeur constitutionnelle de la dignité [15]. En outre, en rendant inopérant l’article 636 du Code de la sécurité routière [16] ainsi que la règle de common law établie dans l’arrêt Ladouceur [17], la Cour supérieure caractérise la notion très subtile du profilage racial. Elle met également de l’avant les effets traumatisants subis par les communautés racisées : une réalité au Québec qui s’oppose à l’essence même de la Charte, soit la dignité humaine [18].  

 

Bien que le procureur général du Québec n’ait pu prouver que les interceptions policières aléatoires sur la route ont des effets positifs sur la sécurité routière, le gouvernement caquiste a récemment annoncé qu’il fera appel de la décision du juge Yergeau [19]. Ainsi, les effets juridiques de la décision seront donc suspendus jusqu’à ce que la Cour d’appel du Québec entende le litige en question. À la lumière de ce jugement historique, l’émission Enquête, produite par Radio-Canada, partage à nouveau Police et profilage, 40 ans d’échec [20]. Cette diffusion présente la réalité poignante du profilage racial, ce qui permet de comprendre davantage les retombées discriminatoires que subissent les communautés racisées [21]

 

SOURCES

(1) Luamba c. Procureur général du Québec, 2022 QCCS 3866, par. 28.

(2) Judith PLAMONDON (réal.) et Jean-Yves HOULE (mont.), « Police et profilage : 40 ans d’échec » [webémission], Radio-Canada - Enquête, 14 janvier 2021, en ligne : <https://ici.radio-canada.ca/tele/enquete/site/episodes/504588/spvm-profilage-racial-police-communautes-racisme-violence?isautoplay=true> (consulté le 10 décembre 2022).

(3) Luamba c. Procureur général du Québec, préc., note 1.

(4) J. PLAMONDON et J.-Y. HOULE, préc., note 2.

(5) Luamba c. Procureur général du Québec, préc., note 1, par. 38.

(6) R. c. Ladouceur, [1990] R.C.S. 1257.

(7) Code de la sécurité routière, RLRQ, c. C-24.2, art. 636.

(8) Luamba c. Procureur général du Québec, préc., note 1, par. 22.

(9) Id., par. 134.

(10) R. c. Ladouceur, préc., note 6.

(11) Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)], art. 7.

(12) Luamba c. Procureur général du Québec, préc., note 1, par. 40.

(13) Charte canadienne des droits et libertés, préc., note 11.

(14) Luamba c. Procureur général du Québec, préc., note 1, par. 745.

(15) Id., par. 28.

(16) Code de la sécurité routière, préc., note 7.

(17) R. c. Ladouceur, préc., note 6.

(18) Luamba c. Procureur général du Québec, préc., note 1, par. 745.

(19) Radio-Canada, « Québec porte en appel l’interdiction des interceptions policières aléatoires sur la route », Radio-Canada, 25 novembre 2022, en ligne : <https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1935708/quebec-appel-interceptions-policieres-aleatoires-route-profilage> (consulté le 10 décembre 2022).

(20) J. PLAMONDON et J.-Y. HOULE, préc., note 2.

(21) Id.

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