Le notariat en pratique non traditionnelle: un éventail de possibilités
Rédactrice: Maryanne Vachon
Encore à ce jour, le lieu de création de la profession notariale reste un mystère : plusieurs l’attribuent au nord de l’Italie, d’autres à la France. Une chose est certaine, la fonction a été introduite en Amérique du Nord dès le fondement de la Nouvelle-France [1]. Exerçant l’un des premiers métiers professionnels québécois, les notaires étaient autrefois nommés par les princes et les rois dans le but de désencombrer le système judiciaire. Ce n’est d’ailleurs qu’en 1850 qu’une formation est devenue obligatoire pour être admis dans la profession [2]. Depuis, la pratique notariale a beaucoup évolué. Les notaires possèdent aujourd’hui plusieurs responsabilités et ont l’occasion de pratiquer dans des domaines non traditionnels. Nous avons eu la chance de rencontrer Me Tommy Fréchette, notaire et vice-président du conseil d’administration de PME INTER Notaires. PME INTER Notaires, en tant que plus gros regroupement de bureaux de notaires au Québec, représente près de 300 notaires exerçant en pratique privée, principalement dans les domaines de l’immobilier, du droit de la personne et du droit des affaires. Me Fréchette, notaire depuis 2010, en plus d’assurer des charges de cours à l’Université de Sherbrooke, oriente principalement sa pratique vers le droit des affaires. Nous le remercions de nous avoir accordé une entrevue pour traiter de certains domaines de droit moins connus exercés par les notaires. Dans ce texte, nous aborderons notamment les sujets de la médiation, de la fiscalité, de la planification financière et des procédures non contentieuses selon la perspective d’un.e notaire.
Les notaires médiateurs et médiatrices
Les notaires sont souvent considéré.e.s comme étant des médiateurs et médiatrices idéal.e.s. Du fait de la nature de leur profession, ils et elles sont appelé.e.s à être neutres, impartiaux et impartiales et tenu.e.s à la confidentialité. Dans ce rôle, les notaires ne prodiguent pas de conseils juridiques et ne sont pas ceux et celles qui tranchent le litige ou qui imposent une solution [3]. N’ayant aucun pouvoir décisionnel, ils et elles agiront plutôt comme intermédiaires afin de faciliter la conversation entre les parties. Les modes de prévention et règlement des différends sont l’avenir de la profession et permettent de désengorger les tribunaux. Comme le fait remarquer Me Fréchette, « les nouveaux projets de loi donnent toujours de plus en plus de place aux notaires dans tout ce qui est médiation, surtout en médiation familiale puisque plusieurs personnes se séparent, mais sont en bons termes et n’ont pas nécessairement besoin du processus judiciaire ». La médiation peut servir, par exemple, aux ex-conjoint.e.s qui veulent s’entendre sur le partage des biens et dettes, la garde des enfants ou les pensions alimentaires [4]. Me Fréchette ajoute également que, pour tenir des médiations commerciales et civiles, il est essentiel que les notaires médiateurs et médiatrices soient expérimenté.e.s et à l’aise avec les concepts de droit qui seront utilisés afin d’assurer l’efficacité de la séance. Les médiations commerciales sont utiles pour s’entendre sur la « perception des comptes impayés, plaintes et griefs, conflits d’actionnaires, litiges entre les partenaires commerciaux, etc. » [5]. Par la suite, et en cas de besoin, les notaires peuvent rédiger un contrat liant les parties.
Les notaires fiscalistes
Les notaires peuvent porter, à la suite de l’obtention d’une maîtrise en fiscalité, le chapeau de fiscaliste. D’ailleurs, la majorité des fiscalistes possèdent souvent un second titre, soit celui de juriste ou de comptable. Le rôle des notaires fiscalistes est d’interpréter la Loi de l’impôt sur le revenu, d’en être des professionnel.le.s. Tandis que le ou la juriste prévoit les incidences fiscales, le ou la comptable s’occupe de les chiffrer. Me Fréchette mentionne que « le fiscaliste fait des livres de recettes : il dresse une recette disant ce qui doit être fait pour que nous arrivions à un résultat "X" et que le client se retrouve dans telle situation. Ensuite, les professionnels du droit et [les] comptables travailleront avec ce livre de recettes pour faire la documentation juridique en lien avec la recette et s’assurer que, dans la déclaration d’impôt des personnes impliquées dans la transaction, les chiffres soient mis aux bons endroits afin de calculer exactement l’incidence résultante ». Bien que les client.e.s d’affaires soient souvent ceux et celles qui ont recours aux services d’un.e professionnel.le de la fiscalité, chaque notaire est un jour appelé.e, peu importe son domaine de pratique, à se questionner sur l’impact fiscal de certaines situations. Que ce soit dans le contexte d’une succession ou d’une transaction immobilière, il est important pour les client.e.s de comprendre les impacts fiscaux qui en résulteront. Les notaires doivent aussi connaître les conséquences que peuvent subir les fiducies. De plus, les perspectives d’emploi pour les étudiants et étudiantes diplômé.e.s d’une maîtrise en fiscalité sont excellentes : le besoin sur le marché québécois est grand, comme nous l’a confirmé Me Fréchette.
Les notaires et planificateurs et planificatrices financier.ère.s
Selon la Chambre des notaires du Québec, il est permis pour les notaires de pratiquer en planification financière [6]. Bien que, selon Me Fréchette, les notaires n’aient que très peu exploité cette branche, ils et elles auraient intérêt à la développer dans le futur. Le domaine se rapproche de celui de la fiscalité. Il peut consister à préparer des planifications successorales ou à prévoir des stratégies afin d’atteindre certains objectifs en tenant compte des impôts à payer, par exemple [7]. Les notaires, dans ce rôle, ne gèreront toutefois pas les avoirs des clients ni n’exerceront le geste final de faire et percevoir les placements en leur nom.
Les notaires accrédité.e.s en procédures non contentieuses
Saviez-vous que les notaires accrédité.e.s en procédures non contentieuses travaillent de concert avec les tribunaux? Une procédure non contentieuse « est une procédure par laquelle un juge approuvera certains actes lorsqu’il n’y a pas de contestation entre les parties à l’acte » [8]. C’est le cas, par exemple, de l’homologation de mandats de protection, de l’ouverture de régimes de protection ou de tutelle au mineur ou encore de la vérification de testaments olographes ou devant témoins. L’enjeu de la pénurie de main-d’œuvre et des délais excessifs des tribunaux ne touche donc pas seulement les avocat.e.s : les notaires faisant des demandes à la Cour dans le cadre des dossiers de procédures non contentieuses le subissent également.
Les interactions des notaires avec les autres professionnel.le.s
Ce serait se méprendre que de penser qu’un ou une notaire passe ses journées à rédiger des contrats devant son ordinateur. Me Fréchette estime passer près de 50% de ses journées à communiquer avec des professionnel.le.s qui gèrent les dossiers de ses client.e.s, que ce soient des avocat.e.s, comptables, fiscalistes ou planificateurs et planificatrices financier.ère.s. Il est important de négocier, tout en gardant en tête les besoins du ou de la client.e, afin que la transaction envisagée se déroule bien sur tous les points. Notez que la négociation n’est pas un domaine réservé aux avocat.e.s : bien que le rôle des notaires s’arrête au moment où le dossier devient litigieux, il est important de se rappeler « qu’au Québec, 90% des dossiers inscrits à la Cour supérieure font l’objet d’un règlement hors Cour » [9]. Un bon ou une bonne notaire doit être capable de préserver les droits et intérêts de son ou sa client.e lorsqu’il ou elle communique avec d’autres professionnel.le.s.
Conseils pour les futur.e.s notaires
Pour terminer, Me Fréchette souhaite conseiller aux futur.e.s notaires de commencer leur carrière en étant entouré.e de collègues plus expérimenté.e.s : « peu importe la grosseur du bureau, ne partez pas tout seul de votre côté ». De cette manière, il est plus facile d’acquérir de l’expérience en évitant de commettre des erreurs qui pourraient s’avérer fatales sur le plan professionnel. Il leur conseille également de suivre l’actualité et d’avoir de bonnes connaissances générales. En effet, les notaires exercent leur métier dans la vie courante de leurs client.e.s : être capable de s’entendre avec eux et de mieux les comprendre s’avère être un réel atout.
Conclusion
En somme, il est faux de penser que les notaires ne traitent que des dossiers de droit immobilier ou successoral. La Chambre des notaires du Québec, sur son site Internet, va même jusqu’à nommer les droits agricole, autochtone, aérien et maritime comme champs d’expertise non traditionnels de ses membres. Profession de plus en plus diversifiée, le notariat touche plusieurs domaines et beaucoup de spécialisations sont accessibles aux futur.e.s juristes. D’ailleurs, le projet de loi 8 déposé à l’Assemblée nationale du Québec le 1er février 2023 prévoit, entre autres, que les juges des tribunaux judiciaires pourront être choisi.e.s parmi les notaires ayant exercé leur profession pendant au moins 10 ans [10]. Reste à voir si une nouvelle corde sera ajoutée à l’arc des notaires!
Le journal L’Obiter souhaite remercier une fois de plus Me Fréchette et PME INTER Notaires pour cette entrevue.
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CHAMBRE DES NOTAIRES DU QUÉBEC, « Historique du notariat », Chambre des notaires du Québec, en ligne : <Historique du notariat | Chambre des notaires du Québec (cnq.org)> (consulté le 27 février 2023).
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THE FRENCH CANADIAN GENEALOGIST, « Le notaire », The French-Canadian Genealogist, en ligne : <L'ancien métier de notaire en Nouvelle-France — The French-Canadian Genealogist (tfcg.ca)> (consulté le 27 février 2023).
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CHAMBRE DES NOTAIRES DU QUÉBEC, « La médiation », Chambre des notaires du Québec, en ligne : <La médiation | Chambre des notaires du Québec (cnq.org)> (consulté le 27 février 2023).
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PME INTER NOTAIRES, « La médiation… une voie gagnante! », PME INTER Notaires, en ligne : <La médiation… une voie gagnante! - PME INTER Notaires> (consulté le 28 février 2023).
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PME INTER NOTAIRES, « Conflits d’entreprise – Osez la médiation commerciale », PME INTER Notaires, en ligne : <Conflits d'entreprise - Osez la médiation commerciale - PME INTER Notaires> (consulté le 28 février 2023).
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CHAMBRE DES NOTAIRES DU QUÉBEC, « Des champs d’expertise diversifiés », Chambre des notaires du Québec, en ligne : <Des champs d’expertise diversifiés | Chambre des notaires du Québec (cnq.org )> (consulté le 28 février 2023).
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RETRAITE QUÉBEC, « Consulter un planificateur financier », Retraite Québec, en ligne : <Retraite Québec - Consultez un planificateur financier (gouv.qc.ca)> (consulté le 1er mars 2023).
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SCRIPTA LÉGAL, Documents juridiques en ligne, « Procédure non contentieuse », en ligne : <Procédure non contentieuse - Lexique juridique (scriptalegal.com)> (consulté le 5 mars 2023).
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TREMBLAY BOIS AVOCATS, « Le déroulement de la cause », Tremblay Bois Avocats, en ligne : <À quoi vous attendre - Tremblay Bois Avocats - Cabinet d'avocat Québec> (consulté le 5 mars 2023).
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Loi visant à améliorer l’efficacité et l’accessibilité de la justice, notamment en favorisant la médiation et l’arbitrage et en simplifiant la procédure civile à la Cour du Québec, projet de loi no 8 (présentation – 1er février 2023), 1ère sess., 43e légis. (Qc).
Image: Signer l’acte authentique chez un notaire, comment ça se passe ? (drimki.fr)