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La face cachée de l’avortement

Par le Comité féministe

L’histoire du combat pour les droits des femmes dans les pays de l’Occident a débuté vers la moitié du XIXe siècle et se poursuit encore de nos jours [1]. En effet, même si les femmes ont obtenu plusieurs droits lors du XXe siècle, la mise en place des mécanismes de protection pour ceux-ci s’avère tout de même fragile, surtout aux États-Unis d’Amérique. Par exemple, pas plus tard que l’été dernier, la Cour suprême des États-Unis a renversé Roe v. Wade [2], une décision accordant le droit à l’avortement [3]. Cela a eu pour effet de criminaliser l’avortement dans certains États.  

Le renversement de Roe v. Wade s’inscrit dans une longue tradition du contrôle du corps des femmes. Même si cette décision affecte formellement toutes les femmes, en réalité, ce sont les communautés marginalisées qui sont le plus touchées par celle-ci. Ces dernières font malheureusement encore face à une discrimination particulière relativement à leurs droits reproductifs. Notamment, les femmes qui n’ont pas les moyens financiers d’élever un enfant ne possèdent plus l’option de mettre fin à leur grossesse, ce qui perpétue le cycle de la pauvreté [4]. Ainsi, bien que cette décision ait été discutée à plusieurs reprises, nous souhaitons l’examiner de plus près sous un angle qui est malheureusement rarement mis de l’avant : celui des femmes marginalisées.

D’abord, il faut comprendre que le renversement de cette décision fondamentale permet aux États de décider de criminaliser ou non l’avortement. Malgré le fait que certains États ont réaffirmé le droit à l’avortement, d’autres l’ont banni, et ce, de manière absolue [5]. Ce que nous souhaitons souligner, c’est le fait qu’il y ait une grande population de femmes noires qui habitent dans les États restrictifs, ce qui les rend plus vulnérables à l’incarcération [6]. En effet, en raison du manque de ressources disponibles comme une éducation sexuelle ainsi que des opportunités d’emploi, ces femmes risquent davantage de recourir à un avortement [7]. De plus, le coût de la vie ne cesse d’augmenter et les produits pour bébés se font de plus en plus rares; de nombreuses femmes ne sont donc pas si enthousiastes par rapport à la possibilité d’élever un enfant [8].

La réaction première est souvent d’énoncer que les femmes dans cette situation pourraient se déplacer afin d’avoir accès à des services d’avortement dans un État où ils ne sont pas criminalisés. Toutefois, il faut prendre en considération le temps de transport ainsi que les coûts à prévoir pour ce voyage. Encore une fois, ce ne sont pas toutes les femmes qui peuvent se permettre ce privilège.

Il faut aussi souligner que les femmes afro-américaines ont un passé difficile avec l’avortement. Celles-ci ont fait face à des procédures d’avortement forcé dans le passé [9]. Par exemple, le père de la gynécologie moderne, James Marion Sims (1813-1883), a usé de méthodes peu déontologiques pour aboutir aux découvertes scientifiques qui lui ont permis d’être si reconnu [10]. Croyant que les personnes afro-américaines ne ressentaient pas la douleur, il a conduit ses procédures sans anesthésie et sans égard pour le bien-être des femmes qu’il utilisait. Durant le XXe siècle, rares étaient les experts qui s’intéressaient à la santé des femmes. En conséquence, les défendeurs de Sims avancent que ce dernier n’était qu’un homme de son époque et que ces femmes, qu’il gardait comme esclaves, souffraient de fistules et souhaitaient tellement être traitées qu’elles auraient accepté d’être sujettes à ses tests [11]. Cependant, l’histoire n’a pas permis à ces femmes d’exprimer leurs opinions. Sims soignait les femmes esclaves pour leur permettre de se reproduire et pour ainsi avoir une valeur « ajoutée » aux yeux de leur propriétaire [12]. Aucune preuve historique ne permet de dire que ses patientes avaient consenti à ses soins [13]. Sims décrit notamment dans ses recherches les interminables souffrances d’une de ses patientes, Lucy, une jeune femme de 18 ans, qui a pris des mois à se remettre d’une opération traumatique qu’il avait exécutée [14]. Vers 1850, Sims a ouvert une clinique pour femmes à New York, où il a continué à user de ses techniques controversées. Lorsque les femmes qu’il traitait mouraient, il rejetait la faute sur l’ignorance des mères et des sages-femmes afro-américaines, ne remettant jamais en question ses méthodes [15]. Ces femmes n’ont pas été traitées comme des êtres indépendants, possédant un pouvoir d’agentivité, mais plutôt comme des cobayes.

Il devient également intéressant de se pencher sur l’eugénisme, le mouvement qui prône l’amélioration de la population en contrôlant la reproduction de ceux et celles considéré.e.s comme moins « attirant.e.s », que ce soit à cause de leurs caractéristiques physiques, leur force, leur intelligence ou autre [16]. Pendant un flux d’immigration au début du XXe siècle, plusieurs figures publiques soucieuses du futur de la population américaine ont mobilisé cette théorie afin de conserver un pays homogène [17]. D’ailleurs, une de ces figures est Margaret Sanger, la fondatrice de l’organisme Planned Parenthood, qui milite aujourd’hui pour les droits reproductifs des femmes [18].

Ainsi, à cette époque, plusieurs dispositions législatives ont été adoptées dans cette idée eugénique et, à travers celles-ci, des femmes de classe sociale défavorisée ont subi des stérilisations forcées. L’État d’Indiana est même allé jusqu’à légaliser cette procédure pour ses détenu.e.s [19].

Même si ces cas datent du siècle dernier, les droits des femmes demeurent en danger. En effet, les femmes autochtones au Canada sont aussi victimes de stérilisation forcée, le dernier cas étant aussi récent qu’en 2019 [20]. Il est grand temps de comprendre que le corps des femmes n’est pas un terrain de jeu pour les politicien.ne.s. Les femmes doivent être capables de prendre des décisions qui concernent leur propre corps, et leurs droits ne doivent pas être dictés par leur origine ethnique ou leur classe socio-économique. Si certains gouvernements s’inquiètent par rapport aux conditions de vie dans lesquelles grandissent les enfants, il nous semble que la limitation des droits des femmes n’est pas la solution à retenir. En fait, à se proclamer « pro-vie », on pourrait croire qu’il y aurait au moins des tentatives de leur part pour protéger les enfants déjà en vie, marchant tous les jours le sol de notre monde.

 

 

SOURCES

(1) UN WOMEN, « 1840 », UN WOMEN, en ligne : <https://interactive.unwomen.org/multimedia/timeline/womenunite/en/index.html?gclid=CjwKCAiAh9qdBhAOEiwAvxIok4nNXiojV-0vQAZocCaBeERXBlU3bqRefZiIzBU7-SCdqjrCHt8rzhoCp1kQAvD_BwE#/1840> (consulté le 12 décembre 2022).

(2) Roe v. Wade, 410 U.S. 113 (1973).

(3) Dobbs c. Jackson Women’s Health Organization, 597 U.S. (2022).

(4) Mary O’HARA, « Lack of access to abortion leaves women in poverty », The Guardian, 27 avril 2016, en ligne : <https://www.theguardian.com/society/2016/apr/27/contraception-abortion-access-women-poverty> (consulté le 12 décembre 2022).

(5) THE NEW YORK TIMES, « Tracking the States Where Abortion Is Now Banned », The New York Times, 28 juin 2022, en ligne : <https://www.nytimes.com/interactive/2022/us/abortion-laws-roe-v-wade.html> (consulté le 12 décembre 2022).

(6) Nandita BOSE, « Roe v Wade ruling disproportionately hurts Black women, experts say », Reuters, 27 juin 2022, en ligne : <https://www.reuters.com/world/us/roe-v-wade-ruling-disproportionately-hurts-black-women-experts-say-2022-06-27/> (consulté le 12 décembre 2022).

(7) Samantha ARTIGA et al., « What are the Implications of the Overturning of Roe v. Wade for Racial Disparities? », KFF, 15 juillet 2022, en ligne : <https://www.kff.org/racial-equity-and-health-policy/issue-brief/what-are-the-implications-of-the-overturning-of-roe-v-wade-for-racial-disparities/> (consulté le 12 décembre 2022).

(8) Laura STILWELL et Lisa A. GENNETIAN, « How the baby formula shortage financially straints U.S. families », PBS, 8 octobre 2022, en ligne : <https://www.pbs.org/newshour/economy/how-the-baby-formula-shortage-financially-strains-u-s-families#:~:text=The%20national%20shortage%20of%20baby,nutritional%20needs%20of%20their%20babies> (consulté le 12 décembre 2022).

(9) Brynn HOLLAND, « The ‘Father of Modern Gynecology’ Performed Shocking Experiments on Enslaved Women », History, 4 décembre 2018, en ligne : <https://www.history.com/news/the-father-of-modern-gynecology-performed-shocking-experiments-on-slaves> (consulté le 12 décembre 2022).

(10) Id.

(11) Id.

(12) Id.

(13) Id.

(14) Id.

(15) Id.

(16) Paola ALONSO, « Autonomy Revoked: The Forced Sterilization of Women of Color in 20th Century America », Texas Women’s University, en ligne : <https://twu.edu/media/documents/history-government/Autonomy-Revoked–The-Forced-Sterilization-of-Women-of-Color-in-20th-Century-America.pdf> (consulté le 12 décembre 2022).

(17) Paula RASMUSSEN, « Colonizing racialized bodies: examining the forced sterilization of Indigenous women and the shameful history of eugenics in Canada. », (2019) 13-1 On Politics, 21.

(18) P. ALONSO, préc., note 16.

(19) Id.

(20) Ariane LACOURSIÈRE et Fanny LÉVESQUE, « Stérilisation forcée des femmes autochtones : Au moins 22 cas depuis 1980, un dernier en 2019 », La Presse, 24 novembre 2022, en ligne : <https://www.lapresse.ca/actualites/2022-11-24/sterilisation-forcee-de-femmes-autochtones/au-moins-22-cas-depuis-1980-un-dernier-en-2019.php> (consulté le 12 décembre 2022).

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