top of page
soigner ou punir.jpg

Soigner ou punir? Plan d'ensemble sur la santé mentale dans le système carcéral canadien

Rédigé par Rose Marcotte

Selon une étude de 2013 de la Sécurité publique du Canada, 38 % des délinquant.e.s nouvellement admis.e.s au Service correctionnel du Canada souffrent ou ont des antécédents de troubles de santé mentale graves [1]. La surreprésentation des personnes souffrant de problèmes de santé mentale dans le système carcéral est un problème d’actualité qui est d’ailleurs en croissance tant dans les prisons que dans les pénitenciers. Entre 1997 et 2010, les symptômes de maladie mentale grave chez les délinquant.e.s admis.e.s dans les pénitenciers ont augmenté de 61 % pour les hommes et de 71 % pour les femmes [2]. De surcroît, en raison du manque de ressources hospitalières, il est fréquent que les délinquant.e.s atteint.e.s de troubles mentaux soient détenu.e.s en prison en attente d’une place dans un hôpital pour une évaluation psychiatrique [3]. Cela entraîne souvent l’incarcération d’individus ayant des troubles de santé mentale accusés d’infractions mineures pour lesquelles l’emprisonnement ne serait normalement pas exigé [4]. Dans ce contexte, il y a lieu de soulever le fait que les établissements de détention regorgent rapidement de personnes atteintes de troubles mentaux [5]. Que penser de ce phénomène inquiétant, considérant que ces institutions n’ont pas l’objectif ni les ressources pour soigner ces individus? Dans cet article, il sera question du traitement des personnes atteintes de troubles mentaux dans le système pénal, en passant par leur surreprésentation dans l’appareil judiciaire ainsi que par l’incapacité du système carcéral à gérer cette population. Ensuite, nous observerons les conséquences de l’incarcération sur les individus présentant des troubles mentaux de même que les mesures à prendre afin de remédier à cette problématique.

 

Criminalisation des individus souffrant de troubles mentaux

Il s’agit d’un fait connu chez les chercheurs et chercheuses et les praticien.ne.s que les individus atteints d’un problème de santé mentale sont de plus en plus confrontés au système de justice pénale [6]. Par exemple, ceux-ci sont davantage susceptibles d’être arrêtés pour avoir commis des actes de nuisance, d’être placés sous surveillance à la suite d’infractions mineures et de faire face à des délais supplémentaires de détention provisoire entre leur arrestation et la prononciation de leur sentence [7]. Selon les recherches, 40 % des individus souffrant d’un trouble de santé mentale ont été arrêtés au moins une fois dans leur vie [8]. Souvent, les personnes souffrant de troubles mentaux sont inculpées et gardées en détention pour des délits mineurs, car cela est plus rapide pour le corps policier plutôt que de les conduire à un établissement de soins psychiatriques où la prise en charge peut prendre plusieurs heures [9]. À la lueur de ces informations, un doute se lève sur l’intention de notre système pénal : criminalise-t-il les personnes ayant un trouble mental? Cette apparente criminalisation transforme les prisons locales en « dépôts encombrés pour les personnes ayant des problèmes de santé mentale » [10]. De plus, puisque les personnes incarcérées souffrant de problèmes de santé mentale ont moins de chances d’obtenir une libération totale et risquent plutôt d’être libérées sur parole avec des conditions qu’elles peinent à respecter, elles sont plus vulnérables à une nouvelle arrestation ou à une réincarcération [11].

 

Conditions d’incarcération problématiques

Considérant la prévalence de la population souffrant de troubles mentaux dans le système carcéral, il convient de se questionner sur la capacité de ce dernier à gérer cette population. Malheureusement, les conditions d’incarcération sont souvent incompatibles avec les besoins des condamné.e.s souffrant de troubles psychologiques et ne favorisent donc pas leur traitement ou leur réadaptation [12]. En raison de la surpopulation carcérale et des restrictions budgétaires, les ressources dans les établissements de détention tendent vers l’insuffisance, ce qui est problématique pour l’ensemble des incarcéré.e.s, mais d’autant plus pour les détenu.e.s souffrant de problèmes de santé mentale [13]. En particulier, on dénonce dans le système carcéral un manque important de ressources d’accompagnement [14]. De ce fait, une grande majorité des détenu.e.s dont la santé mentale est affectée ne reçoivent pas les soins nécessaires à leur situation. Au contraire, ceux-ci et celles-ci se retrouvent souvent placé.e.s en isolement, une mesure correctionnelle hautement controversée notamment pour ses effets néfastes sur la santé mentale [15]. En outre, il est reconnu que les personnes souffrant de problèmes de santé mentale subissent davantage de violence que les autres incarcéré.e.s, qu’elle soit physique, verbale, psychologique ou sexuelle et autant sur le plan institutionnel que relationnel [16]. En ce qui concerne le traitement psychiatrique, celui-ci se limite majoritairement à la prescription de psychotropes et n’est que rarement accompagné de ressources humaines comme la thérapie [17].

 

Conséquences d’une expérience traumatisante avec le système de justice

À la lumière des faits énoncés précédemment, il est pertinent de souligner que les personnes présentant des problèmes de santé mentale ont continuellement des expériences traumatisantes avec le système de justice. D’une part, elles se voient souvent assujetties à une surveillance plus accrue et à une norme de conduite plus stricte que le reste de la société, ce qui fait en sorte qu’elles sont plus fréquemment placées dans des institutions de détention [18]. D’autre part, les personnes atteintes de troubles mentaux sont généralement désavantagées par le système carcéral en ne recevant pas les soins nécessaires et en subissant un taux de violence plus élevé que la moyenne [19]. L’exclusion et l’isolement social que vivent les détenu.e.s avec des troubles mentaux engendrent des conséquences à long terme sur leur développement, ces conditions créant un état de dépendance envers le système de services sociaux chez ces individus qui ne disposent que de très peu d’autonomie dans les prisons et pénitenciers [20]. De plus, ces personnes peuvent voir leur condition mentale se détériorer pendant la purgation de leur peine en raison des conditions de vie hostiles, du manque accru de ressources communautaires ainsi que de l’augmentation de la stigmatisation et de la discrimination à leur égard [21]. Selon les expert.e.s canadien.ne.s, les personnes vivant avec des troubles mentaux sont souvent définies par leur diagnostic dans le système de justice pénale, une étiquette qui les suit et qui contribue à leur isolement social, en plus de nuire à leur réintégration en société une fois libérées [22].

 

Pistes de solutions

En considérant les enjeux énoncés ci-dessus, il est évident que des mesures doivent être prises afin de s’assurer que les personnes souffrant de troubles mentaux aient une meilleure expérience avec le système de justice pénale. Après tout, ce sont des êtres humains avec des droits, une intégrité et des besoins qui méritent d’être respectés. Pour ce faire, il convient d’investir dans les services communautaires de santé mentale pour la prévention, la déjudiciarisation, la lutte contre la stigmatisation et l’amélioration des services liés aux troubles mentaux [23]. Investir dans le système civil de santé mentale est effectivement la solution la moins coûteuse et la plus efficace afin d’assurer que les personnes atteintes de troubles psychologiques soient prises en charge avant de se retrouver dans le système pénal [24]. Dans de nombreux cas, ces personnes ont eu un contact avec le système civil de santé mentale quelques jours avant de commettre leur infraction, mais ont été autorisées à sortir ou se sont enfuies [25]. De plus, il est primordial de recueillir plus d’informations sur cette population vulnérable afin de mieux surveiller les progrès, en établissant notamment des indicateurs de rendement, des données fiables sur la prévalence et un cadre d’évaluation fondé sur une définition commune de la maladie mentale [26]. En outre, il faut mettre en place des modèles de rechange pour offrir des services de santé mentale aux délinquant.e.s les plus à risque qui ne devraient pas se retrouver dans le milieu correctionnel [27]. Grâce à la déjudiciarisation, il est possible de désencombrer les établissements carcéraux en dirigeant les individus qui ont des troubles mentaux vers des services civils de santé mentale appropriés, plutôt que dans le système de justice pénale [28]. Finalement, il est nécessaire de soutenir la création d’une organisation pour défendre les droits des détenu.e.s qui sont souvent injustement persécuté.e.s sans qu’on ne leur vienne en aide [29].

 

En bref, les mesures à prendre afin de lutter contre le traitement fâcheux des individus souffrant de troubles mentaux dans notre système de justice pénale sont évidentes. Toutefois, l’État peine à mettre en place ces solutions, alors que les problématiques liées à la surreprésentation de cette population dans l’appareil judiciaire ne font que s’aggraver de façon exponentielle. Rappelons-nous Ashley Smith, une jeune femme souffrant de problèmes de santé mentale qui s’est enlevé la vie dans un pénitencier de l’Ontario en 2007, à la suite d’une mauvaise gestion de sa condition par le Service correctionnel du Canada. Cet incident avait grandement sensibilisé la population canadienne aux conditions de détention des incarcéré.e.s. Pourtant, seize ans plus tard, la situation ne s’est toujours pas améliorée et il est plus que temps d’agir afin de prévenir d’autres tragédies de la sorte [30].

 

Sources:

1. SÉCURITÉ PUBLIQUE CANADA, Délinquants atteints de troubles mentaux et à risque, (2013) 18-4 Recherche en bref, en ligne : <https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/rsrcs/pblctns/rsk-mntl-ffndr/index-fr.aspx> (consulté le 5 mars 2023).

 

2. CENTRE DE TOXICOMANIE ET DE SANTÉ MENTALE, La santé mentale et la justice pénale : cadre stratégique, Toronto, 2013, en ligne : <https://camh.ca/-/media/files/pdfs---public-policy-submissions/mhandcriminaljustice_policyframework_french-pdf.pdf> (consulté le 12 mars 2023).

 

3. COUR SUPRÊME DU CANADA, « Allocution prononcée par la très honorable Beverley McLachlin, C.P. Juge en chef du Canada », La médecine et le droit : les défis de la maladie mentale, février 2005, en ligne : <https://www.scc-csc.ca/judges-juges/spe-dis/bm-2005-02-17-fra.aspx#fnb1> (consulté le 5 mars 2023).

 

4. Id.

 

5. L’ENQUÊTEUR CORRECTIONNEL DU CANADA, « Santé mentale et système correctionnel », Série de colloques de la faculté de psychologie de l’Université Saint Francis Xavier, Nouvelle-Écosse, 18 mars 2011, en ligne : <https://www.oci-bec.gc.ca/cnt/comm/pdf/presentations/presentations20120318-fra.pdf> (consulté le 16 mars 2023).

 

6. Frank J. PORPORINO et Laurence L. MOTIUK, L'incarcération des délinquants ayant des problèmes de santé mentale, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1994, en ligne : <https://www.researchgate.net/profile/Laurence-Motiuk/publication/239926525_L%27incarceration_des_delinquants_ayant_des_problemes_de_sante_mentale/links/54775da90cf2a961e48270cb/Lincarceration-des-delinquants-ayant-des-problemes-de-sante-mentale.pdf> (consulté le 9 mars 2023).

 

7. Id.

 

8. CENTRE DE TOXICOMANIE ET DE SANTÉ MENTALE, préc., note 2.

 

9. Edward F. ORMSTON, « La criminalisation des personnes ayant des problèmes de santé mentale », (2010) 29 Revue canadienne de santé mentale communautaire 11, en ligne : <https://www.cjcmh.com/doi/pdf/10.7870/cjcmh-2010-0015> (consulté le 16 mars 2023).

 

10. F. PORPORINO et L. L. MOTIUK, préc., note 6.

 

11. COMMISSION DE LA SANTÉ MENTALE DU CANADA, Les besoins en matière de santé mentale des personnes ayant des démêlés avec la justice : Brève revue exploratoire de la littérature, Ottawa, 2020, en ligne : <https://www.mentalhealthcommission.ca/wp-content/uploads/drupal/2021-01/Justice_Scoping_Review_fr.pdf> (consulté le 13 mars 2023).

 

12. L’ENQUÊTEUR CORRECTIONNEL DU CANADA, préc., note 5.

 

13. Marion VACHERET et Denis LAFORTUNE, « Prisons et santé mentale, les oubliés du système », (2011) 35-4 Déviance et société 485, en ligne : <https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2011-4-page-485.htm> (consulté le 9 mars 2023).

 

14. Id.

 

15. Turbide Labbé c. Ministère de la Sécurité publique, 2021 QCCA 1687.

 

16. M. VACHERET et D. LAFORTUNE, préc., note 13.

 

17. Id.

 

18. F. PORPORINO et L. L. MOTIUK, préc., note 6.

 

19. M. VACHERET et D. LAFORTUNE, préc., note 13.

 

20. Id.

 

21. CENTRE DE TOXICOMANIE ET DE SANTÉ MENTALE, préc., note 2.

 

22. COMISSION DE LA SANTÉ MENTALE DU CANADA, préc., note 11.

 

23. BUREAU DE L’ENQUÊTEUR CORRECTIONNEL, « La santé mentale dans le système correctionnel fédéral »,  Conférence annuelle de 2012 de l’ACCCDP, Winnipeg, 18 juin 2012, en ligne : <https ://www.oci-bec.gc.ca/cnt/comm/presentations/presentations20120618-fra.aspx#01> (consulté le 12 mars 2023).

 

24. GOUVERNEMENT DU CANADA, « Les personnes atteintes de maladie mentale - Comment elles se sont retrouvées dans le système de justice pénale et comment nous pourrions les sortir de là », justice.gc.ca, 2015, en ligne : <https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jr/mental/p7.html> (consulté le 16 mars 2023).

 

25. Id.

 

26. BUREAU DE L’ENQUÊTEUR CORRECTIONNEL, préc., note 23.

 

27. Id.

 

28. GOUVERNEMENT DU CANADA, préc., note 24.

 

29. BUREAU DE L’ENQUÊTEUR CORRECTIONNEL, préc., note 23.

 

30. Louis GAGNÉ, « Santé mentale et détention », (2014) 11-1 Perspective infirmière 19, en ligne : <https://www.oiiq.org/sites/default/files/uploads/periodiques/Perspective/vol11no1/07-sante-mentale.pdf > (consulté le 17 mars 2023).

source de l'image: https://www.pexels.com/photo/hands-of-a-person-holding-on-metal-railings-in-a-jail-10475037/

Ancre 1
bottom of page