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Réparer plutôt que punir : Un autre regard sur la délinquance juvénile

Rédigé par Emy Hovington

Le comportement délinquant chez les adolescents constitue une préoccupation majeure dans plusieurs sociétés, amenant les États à adapter leurs réponses judiciaires pour tenir compte de la vulnérabilité et de la maturité limitée de cette tranche d’âge. Comme preuve de l’importance de ce fléau dans la société canadienne, on a dénombré, en 2014, près de 101 000 jeunes auteurs (12 à 17 ans) présumés d’infractions au Code criminel au Canada, en excluant les délits de la route [1]. La détermination de la culpabilité chez les mineurs contrevenants est donc, de fait, un enjeu complexe dans lequel le système de justice pénale doit à la fois protéger la société et offrir des perspectives de réhabilitation aux jeunes. En droit canadien, contrairement aux adultes, les adolescents font face à des processus judiciaires différents, conçus pour prendre en compte leur développement cognitif, leur capacité de discernement et leur potentiel de réinsertion.

Conformément à la Convention relative aux droits de l’enfant [2] des Nations Unies, ratifiée par le Canada en 1991 [3], les États signataires s’engagent à traiter les mineurs soupçonnés d’infractions de manière adaptée à leur âge et à favoriser leur réintégration sociale. Bien que cette convention ne soit pas directement intégrée au droit interne canadien, elle impose au Canada une responsabilité sur la scène internationale : établir des dispositions juridiques assurant que les enfants soient traités en tenant compte de leur jeune âge, de leur capacité de discernement et de leur potentiel de réhabilitation. Il est ainsi reconnu que les jeunes de moins de 18 ans doivent bénéficier d'un traitement distinct de celui des adultes, visant à les réhabiliter plutôt qu'à simplement les sanctionner. En effet, les données internationales démontrent que, bien qu’ils soient souvent plus susceptibles de commettre des infractions, nombre d’entre eux abandonneront la délinquance en atteignant l’âge adulte [4].

La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (ci-après « LSJPA ») [5], adoptée en 2003, s’inscrit dans cette démarche internationale et vise à instaurer un régime de justice distinct pour les mineurs âgés de 12 à 17 ans. Elle remplace l’ancienne Loi sur les jeunes contrevenants [6] et marque un changement fondamental dans la gestion des infractions juvéniles. La LSJPA repose sur le principe de « responsabilité juste et proportionnelle », qui implique de moduler les conséquences des actes délictueux en fonction de la dépendance et de la maturité des jeunes contrevenants. Cette loi vise ainsi à détourner les adolescents ayant commis des infractions mineures du système judiciaire formel, en privilégiant des mesures extrajudiciaires qui permettent d'intervenir rapidement et efficacement pour corriger les comportements problématiques. Par cette approche, la LSJPA cherche à réduire l’incarcération pour des crimes non-violents et à encourager leur réinsertion, tout en prévoyant des conséquences plus strictes pour les actes de violence.

En plus d’instaurer un cadre d’intervention adapté à l’âge, la LSJPA poursuit l’objectif de responsabiliser les jeunes contrevenants, tout en préservant leur potentiel de réhabilitation. Le système judiciaire canadien reconnaît ainsi que les adolescents, en raison de leur développement cognitif et social en cours, n’ont pas la même capacité de discernement que les adultes et doivent être traités en conséquence. Le présent article s’attardera à examiner les principaux facteurs influençant la détermination de la culpabilité et de la peine sous la LSJPA, en explorant comment la capacité de discernement, le contexte personnel et les perspectives de réhabilitation permettent d’adapter la réponse pénale aux réalités des jeunes, contribuant ainsi à une justice plus équitable et tournée vers la réinsertion sociale.

 

Principes directeurs de la LSJPA

La LSJPA a été adoptée pour proposer une approche moins sévère envers les mineurs de 12 à 17 ans impliqués dans des infractions mineures, surtout lorsqu'il s'agit de leur première infraction. Elle s’appuie sur des objectifs fondamentaux [7] visant à adapter le traitement envers les jeunes contrevenants en tenant compte de leur âge, de leur potentiel de réhabilitation et de la gravité des infractions commises [8]. Son premier objectif est de responsabiliser les contrevenants en leur imposant des conséquences proportionnées et significatives pour leurs actions [9], tout en prenant en compte leur âge et leur degré de maturité [10]. La LSJPA cherche également à favoriser la réinsertion sociale [11] des jeunes, en leur offrant des opportunités de réhabilitation qui réduisent le risque de récidive et les aident à devenir des membres actifs et responsables de la société. Un autre objectif essentiel est de réduire le recours à l’incarcération [12], en particulier pour les infractions non violentes et mineures, grâce à des mesures extrajudiciaires telles que les avertissements ou le renvoi vers des programmes communautaires [13]. En se concentrant sur des solutions alternatives, la LSJPA vise une approche équilibrée entre la protection de la société et l'encouragement de la réhabilitation des jeunes [14].

En accord avec ses lignes directrices, la LSJPA autorise les autorités, notamment les policiers et les procureurs, à envisager des solutions alternatives avant de procéder à une inculpation, surtout si le jeune n'a pas de casier et s’il s’agit d’une infraction non-violente [15]. Ils peuvent, par exemple, choisir de ne pas intervenir, d’adresser un avertissement, une mise en garde, ou encore de rediriger le jeune vers un programme communautaire [16].

Si le besoin d’imposer des sanctions supplémentaires se fait ressentir, la LSJPA permet également des sanctions extrajudiciaires formelles, comme des travaux communautaires, la restitution aux victimes, des excuses, ou encore un suivi psychologique [17]. Si le jeune respecte les conditions, l'accusation est retirée; sinon, il peut être poursuivi au tribunal pour l’infraction initiale [18]. Si un jeune est reconnu coupable, un éventail de peines spécifiques proportionnelles à la gravité de l’infraction est prévu. Cet éventail inclut des peines comme la réprimande, la probation, voire, dans des cas graves, le placement sous garde. L'expression « peines spécifiques », telle que définie à l'article 2 de la LSJPA [19], désigne les peines prévues pour les jeunes en vertu de l'article 42 de cette loi [20], en contraste avec celles applicables aux adultes selon le Code criminel [21].

L'article 38(1) LSJPA [22], complété par les principes additionnels sans hiérarchisation particulière de l’article 38(2) LSJPA [23], reprend les objectifs énoncés à l'article 3 LSJPA [24], en soulignant que l'imposition d'une peine spécifique pour les adolescents vise à répondre à l'infraction par des sanctions justes et équilibrées. Ces sanctions intègrent également des perspectives favorables à la réadaptation et à la réinsertion sociale du jeune, contribuant ainsi à une protection durable de la société [25].

Avant de déterminer la peine d’un adolescent, le tribunal est tenu de demander un rapport prédécisionnel au directeur provincial lorsque la loi l’exige, notamment pour les ordonnances de placement sous garde [26]. Le rapport doit inclure les éléments pertinents énumérés au paragraphe 2 de l’article 40 [27], en lien avec les principes de détermination de la peine [28] et les restrictions concernant le placement sous garde [29]. Il doit également, dans la mesure du possible, contenir les résultats d’entrevues avec l’adolescent, ses parents et d’autres membres de sa famille, ainsi que, si pertinent et réalisable, une entrevue avec la victime. Des recommandations émanant d’un groupe consultatif peuvent également être incluses [30]. Ce document comprend donc des informations sur l’âge, la maturité, le caractère, le désir de l’adolescent de réparer le tort causé, ses antécédents ainsi que tout autre élément susceptible d’aider le tribunal à déterminer la peine applicable [31]. Finalement, outre le rapport prédécisionnel, dans le cadre de la détermination de la peine, le tribunal peut ordonner qu'une évaluation médicale, psychologique ou psychiatrique soit réalisée [32] pour l'adolescent et qu’un rapport écrit soit ensuite rendu [33]. Cela vise principalement à recueillir des informations approfondies sur l’état de santé physique et mental de l’adolescent. L’évaluation a pour objectif d’aider le tribunal à comprendre les besoins, la personnalité et les facteurs psychosociaux qui peuvent avoir influencé son comportement [34].

 

Facteurs influençant la détermination de la culpabilité

Dans le cadre de la détermination de la peine, le tribunal doit tenir compte de la capacité de discernement de l’adolescent en question. Dans l’affaire R. c. D.B., la juge en chef de la Cour suprême du Canada, l’honorable Beverley McLachlin, a affirmé  qu’ « [i]l est largement reconnu que l’âge influe sur le développement du jugement et du discernement moral » [35]. Le principe est donc celui d’une responsabilité pénale conditionnée à la capacité de comprendre et d’avoir l’intention de commettre l’acte. La capacité de discernement fait référence à l'aptitude d'un jeune à comprendre la gravité de ses actes et à en évaluer les conséquences. Ce concept est crucial dans le cadre de la justice juvénile, car il reconnaît que les jeunes, en raison de leur développement cognitif et psychologique, n'ont pas la même capacité à juger la portée de leurs comportements que les adultes. L'évaluation de cette capacité prend en compte l'âge de l'adolescent, son niveau de maturité émotionnelle et son développement intellectuel [36]. Ainsi, en règle générale, un adulte est davantage capable de mesurer pleinement les conséquences de ses actes qu’un adolescent, ce qui justifie une approche différente de la justice pénale.

Ensuite, le contexte personnel d’un adolescent est essentiel dans l’évaluation de sa culpabilité, car il permet de comprendre les facteurs sous-jacents à son comportement. Des éléments comme les conditions de vie, le milieu familial et les influences sociales peuvent jouer un rôle déterminant dans les actes délinquants. Les juges, en tenant compte de ces réalités, peut adapter la sentence en fonction de la situation personnelle du jeune. En reprenant R. c. D.B. [37], le rapport décisionnel avait fait état des antécédents judiciaires et familiaux [38] du jeune en question, ce qui lui avait permis de déterminer une réponse judiciaire proportionnée à sa situation personnelle.

 

Objectif ultime d’une justice adaptative

Finalement, dans le processus de l’évaluation de la peine applicable, le tribunal prend en compte les perspectives positives, comme la réadaptation et la réinsertion sociale. Comme mentionné plus tôt, il s’agit d’un objectif essentiel de la LSJPA pour prévenir la récidive et pour encourager la réintégration [39]. Dans l’affaire R. c. B.W.P., le juge chargé de la détermination de la peine est arrivé à la conclusion suivante : « Isoler BWP de la société, comme le réclame le ministère public, ne répondrait pas à mon avis à l’objectif de protection durable du public envisagé par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. En revanche, lui permettre de poursuivre le cheminement positif qu’il a effectué depuis sa mise en liberté remplirait cet objectif » [40]. Ainsi, contrairement à un système punitif qui se concentre sur la sanction des actes délictueux, la réhabilitation considère le jeune comme un individu en développement, ayant le potentiel de changer et de se réinsérer positivement dans la société. L’objectif est de minimiser les facteurs de risque susceptibles de favoriser des comportements criminels et de soutenir le jeune dans son processus de maturation.

 

Une justice tournée vers l’avenir

L’approche réparatrice de la justice juvénile, telle qu’illustrée par la LSJPA, montre une volonté d’adapter les réponses judiciaires à la réalité et aux besoins des adolescents, plutôt que de se limiter à une logique punitive. Cette démarche, qui met en avant la réhabilitation et la réinsertion, témoigne d’un effort constant pour offrir aux jeunes contrevenants des chances de réintégrer la société en tant que citoyens responsables [41]. Cependant, malgré les avancées notables, des défis demeurent quant à l’équilibre entre la protection sociale et la réinsertion. Face aux défis actuels, comme la montée de la cybercriminalité et des problématiques de santé mentale chez les adolescents [42], la justice pour les jeunes reste plus que jamais pertinente pour développer une société inclusive, proactive et préventive.

Sources

  1. STATISTIQUE CANADA, « La criminalité chez les jeunes au Canada, 2014 », Statcan.gc.ca, 17 février 2016, en ligne : <La criminalité chez les jeunes au Canada, 2014> (consulté le 13 novembre 2024).

  2. NATIONS UNIES, « Convention relative aux droits de l'enfant », 21 novembre 1989, en ligne : <Convention relative aux droits de l'enfant | OHCHR> (consulté le 13 novembre 2024).

  3. Québec (Ministre de la Justice) c. Canada (Ministre de la Justice), [2003] R.J.Q. 1118.

  4. Michael MASSOGLIA et Christopher UGGEN, « Settling down and aging out: Toward an interactionist theory of desistance and the transition to adulthood », (2010) 116 American Journal of Sociology, 543.

  5. Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1.

  6. Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. 1985, c. Y-1.

  7. Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1, art. 3 et 4 (ci-après « LSJPA »).

  8. Lise GAGNON et Pierre MARCOUX, « La justice participative et la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents », dans S.F.C.B.Q., Développements récents en justice participative : la diversification de la pratique de l'avocat, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006, p. 58.

  9. LSJPA, préc., note 7, art. 3 par. 1 (a) (i).

  10. LSJPA, préc., note 7, art. 3 par. 1 (b) (ii).

  11. LSJPA, préc., note 7, art. 3.

  12. LSJPA, préc., note 7, préambule.

  13. LSJPA, préc., note 7, art. 6 par. 1.

  14. LSJPA, préc., note 7, art. 5.

  15. LSJPA, préc., note 7, art. 4 (c).

  16. LSJPA, préc., note 7, art. 6 par. 1.

  17. STATISTIQUE CANADA, préc., note 1.

  18. LSJPA, préc., note 7, art. 10 par. 5.

  19. LSJPA, préc., note 7, art. 2.

  20. LSJPA, préc., note 7, art. 42.

  21. Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46.

  22. LSJPA, préc., note 7, art. 38 par. 1.

  23. Id.

  24. LSJPA, préc., note 7, art. 3.

  25. René DEREPENTIGNY et Lise LEGAULT, « Le régime de la détermination de la peine », dans S.F.C.B.Q., Développements récents en droit de la jeunesse, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p. 50.

  26. LSJPA, préc., note 7, art. 39 par. 6 et 42.

  27. LSJPA, préc., note 7, art. 40 par. 2.

  28. LSJPA, préc., note 7, art. 38.

  29. LSJPA, préc., note 7, art. 39.

  30. LSJPA, préc., note 7, art. 41.

  31. R. DEREPENTIGNY et L. LEGAULT, préc., note 25, p. 53.

  32. LSJPA, préc., note 7, art. 34.

  33. R.DEREPENTIGNY et L.LEGAULT, préc., note 25, p. 54.

  34. Rachel GRONDIN, L'enfant et le droit pénal. Partie I – L’enfant contrevenant à une infraction criminelle. Chapitre II – Le procès de l’adolescent. Section 2 – La détermination d’une peine spécifique soumise à des exceptions, Montréal, Wilson & Lafleur, 2011,  en ligne :  https://edoctrine.caij.qc.ca/wilson-et-lafleur-livres/16/496721062  (consulté le 14 novembre 2024).

  35. R. c. D.B., [2008] 2 R.C.S. 3, par. 35.

  36. LSJPA, préc., note 7, art. 3 (b) (ii).

  37. R. c. D.B., préc., note 35, 4.

  38. LSJPA, préc., note 7, art. 40 par. 2 (d).

  39. LSJPA, préc., note 7, art. 3.

  40. R. c. B.W.P., [2006] 1 R.C.S. 941.

  41. LSJPA, préc., note 7, art. 83 par. 1.

  42. STATISTIQUE CANADA, « La cybervictimisation et la santé mentale chez les jeunes Canadiens », Statcan.gc.ca, 24 novembre 2023, en ligne : <La cybervictimisation et la santé mentale chez les jeunes Canadiens> (consulté le 13 novembre 2024).

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