
Pratiquer le droit à l'étranger: Quelles perspectives?
Rédacteur: Alexandra Gervais
Date: 08/04/2019
Être impliqué au cœur des affaires internationales dans des épicentres bourdonnants tels que New York et Londres t’intéresse? Tu désires contribuer à la mise en œuvre des droits humanitaires au Guatemala ou encore travailler auprès de la Cour pénale internationale? Ces possibilités de pratiquer à l’étranger sont aujourd’hui de plus en plus accessibles; c’est d’ailleurs le choix qu’ont fait 2 384 avocats québécois selon le rapport 2017-2018 du Barreau du Québec [1]. Comme le précise Me Geneviève Dufour, responsable de la maîtrise en droit international et politique internationale appliqués à l’Université de Sherbrooke, « tout ce que l’on fait au Québec, on peut le faire à l’international » [2]. La pratique du droit commercial et pénal au sein d’un cabinet privé, d’une multinationale ou d’un organisme public n’est qu’un exemple de la pratique d’avocats québécois à l’international [3].
Pratiquer au sein d’organisations internationales
La naissance de divers organismes, comme l’Organisation mondiale du commerce (ci-après l’« OMC »), l’Organisation de l’aviation civile internationale (ci-après l’« OACI ») et l’Organisation des Nations unies (ci-après l’« ONU »), a fait exploser le nombre d’emplois dans le domaine du droit international [4]. Alors qu’il est possible de pratiquer ce type de droit à Montréal (par exemple, l’OMC et l’OACI ont des bureaux à Montréal), plusieurs postes exigent qu’on se déplace sur le terrain. Marie-Claude Fournier, avec qui j’ai eu la chance de m’entretenir, est bien placée pour le savoir. Désireuse d’aider les gens et fascinée par la découverte du monde et des sociétés qui l’habitent, cette dernière a travaillé pour le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie à La Haye (ci-après le « TPIY »), pour la Commission interaméricaine des droits de l’homme à Washingtoainsi que pour Avocats sans frontières Canada. Travailler au sein de l’équipe de la défense dans un procès impliquant des personnes accusées de complot en vue de commettre un génocide, analyser des plaintes de personnes dont les droits fondamentaux ont été violés et aider des avocats locaux au Guatemala et en Colombie ne sont que quelques-uns des dossiers sur lesquels Me Fournier a travaillé. Évidemment, tailler sa place dans de tels projets d’envergure n’a pas été de tout repos. Comme le précise Me Fournier, « c’est très difficile de se faire embaucher par les organisations onusiennes ou de droit international en général. La compétition est féroce et la quasi-totalité des gens débute en faisant un stage non rémunéré, à moins d’avoir déjà plusieurs années d’expérience dans un domaine connexe. » Il y a toutefois de la lumière au bout du tunnel, car tous les avocats qu’elle connaît qui voulaient vraiment travailler dans ce domaine ont fini par y arriver. De plus, le programme de stages internationaux du Barreau du Québec, créé en 1998, facilite grandement l’intégration d’étudiants québécois au sein des organisations internationales [5]. Comme l’explique Me Jocelyne Tremblay, directrice de l’École du Barreau, « nous soutenons entre 10 et 20 stages internationaux par année, dont au moins deux à la Cour pénale internationale » [6].
Alors, comment arrive-t-on à se démarquer? Par des études (une maîtrise est quasiment indispensable de nos jours), par la pratique ou par des expériences inusitées et pertinentes. Pratiquer le droit international implique également l’acquisition de plusieurs aptitudes qui ne sont pas enseignées à l’école, comme la maîtrise parfaite de la langue dans laquelle on doit travailler, une grande capacité d’adaptation et une bonne ouverture d’esprit. Par exemple, lors de son passage au TPIY, Marie-Claude Fournier partageait son bureau avec cinq autres personnes issues de quatre nationalités, parlant quatre langues et provenant de quatre systèmes juridiques différents [7]! Selon Me Pascal Paradis, directeur général d’Avocats sans frontières, section Québec, c’est l’engagement qui fera en sorte qu’une candidature se démarque : « Il faut avoir le cœur à la bonne place, s’impliquer avec ASFC c’est un acte de générosité. On en retire tellement, c’est très excitant et c’est une expérience fantastique, mais nous recherchons des candidats qui ont la flamme [8]. »
La pratique privée à l’étranger
Comme le droit anglo-saxon domine les affaires internationales, plusieurs avocats ont, quant à eux, décidé de faire le saut vers de grands centres financiers tels que Londres, New York et Los Angeles. L’importance des dossiers, les enjeux complexes et stimulants, le salaire élevé et la possibilité de côtoyer des avocats chevronnés sont des facteurs qui les ont incités à quitter la Belle Province [9]. C’est le cas de Me Luc Despins, avocat en faillite et restructuration d’entreprise chez Paul Hastings à New York et avec qui j’ai pu m’entretenir. Me Despins, qui a obtenu son baccalauréat en droit à l’Université d’Ottawa, n’avait jamais prévu rester aux États-Unis lorsqu’il est parti faire sa maîtrise à Harvard. Toutefois, lorsqu’un cabinet new-yorkais lui a fait une offre, il s’est rapidement habitué au rythme effréné de la ville et y a pris goût. Il faut dire que le volume des transactions effectuées aux États-Unis et les montants qui y sont en jeu sont beaucoup plus importants qu’au Canada et offrent aux avocats la possibilité de travailler avec des sociétés et des dirigeants parmi les plus puissants au monde [10]. Celui qui est maintenant considéré comme l’un des meilleurs dans son domaine, jusqu’à faire parler de lui dans le Wall Street Journal, a, par exemple, su tirer d’embarras plusieurs gros noms lors de la crise de 2008 [11]. L’envergure des dossiers et l’importance des clients avec qui il fait affaire exigent toutefois beaucoup de dévouement de sa part. Le climat extrêmement compétitif dans lequel les cabinets d’avocats se disputent les plus gros clients ne laisse pas place à l’erreur et exige de longues heures de travail pouvant atteindre les 3 000 heures facturables par année. Les salaires reflètent toutefois cette réalité : en 2016, les avocats débutants pratiquant dans les grands cabinets aux États-Unis gagnaient 207 856 $ CA alors qu’à Toronto, ceux-ci gagnaient 110 000 $ CA [12]. Que faut-il pour tailler sa place dans la Grosse Pomme? Premièrement, une formation en common law ainsi qu’une maîtrise dans une université réputée aux États-Unis sont nécessaires. Comme le précise Me Despins, l’excellence du dossier scolaire est primordiale afin d’espérer être recruté par un cabinet américain. Évidemment, il faut aussi réussir l’examen du Barreau de l’État où on désire pratiquer, ce qui n’est pas une mince tâche. Parlez-en à Marie-Josée Cantin Johnson qui a pratiqué chez Proskauer Rose à Los Angeles, notamment dans le domaine de la propriété intellectuelle avec des sociétés hollywoodiennes. Le Barreau de la Californie étant l’un des plus difficiles à réussir en Amérique du Nord, cette dernière a qualifié cette épreuve comme étant la période la plus difficile de sa vie, autant intellectuellement que physiquement [13].
Les juristes québécois ne se tournent pas uniquement vers les pays anglo-saxons; la France est une terre d’accueil très convoitée, surtout grâce à l’entente de reconnaissance mutuelle conclue avec le Québec en 2008 [14]. Grâce à cette entente, les Québécois n’ont qu’à passer un examen de contrôle des connaissances pour devenir membres d’un barreau français [15]. Tout comme pour les États-Unis, il est recommandé d’acquérir des compétences techniques complémentaires dans le domaine du droit où l’on veut pratiquer, que ce soit par le biais d’études supérieures ou de stages à l’étranger [16]. De plus, comme le précise Me Léveillé, qui a pratiqué chez Norton Rose à Paris, « les grands cabinets anglo-saxons et les entreprises multinationales françaises voient les avocats québécois d'un très bon œil, étant donné leur mentalité nord-américaine et leur bilinguisme, ce qui est plutôt rare en France » [17]. Ces atouts expliquent sans aucun doute pourquoi la communauté des avocats québécois en France ne cesse de grandir depuis plusieurs années.
Bref, que ce soit pratiquer le droit de la propriété intellectuelle sous le soleil de la Californie ou accompagner des avocats guatémaltèques dans le cadre d’un procès, les perspectives d’emploi pour les avocats québécois à l’étranger sont infinies!
Sources
[1] BARREAU DU QUÉBEC, « Rapport annuel 2017-2018 », Barreau du Québec, en ligne : <https://www.barreau.qc.ca/media/1522/2017-2018-rapport-annuel.pdf> (consulté le 20 janvier 2019).
[2] JOBBOOM, « Les Québécois, stars du droit international », Les Carrières du droit 2013, en ligne : <https://www.jobboom.com/carriere/les-quebecois-stars-du-droit-international/> (consulté le 18 janvier 2019).
[3] Id.
[4] Robert KOLB, « Mondialisation et droit international », Relations internationales, vol. 123, no. 3, 2005, pp. 69-86.
[5] Samuel LAROCHELLE, « Quatre Québécois à la CPI », La Presse, en ligne : <http://plus.lapresse.ca/screens/6685ac51-2f73-494e-a56900da0eb715df__7C___0.html> (consulté le 23 janvier 2019).
[6] Id.
[7] JOBBOOM, préc., note 2.
[8] Marjorie LANGLOIS, « Pascal Paradis d’Avocats Sans Frontières Canada », Progressive Lawyer, en ligne : <http://www.progressivelawyer.com/access-to-justice/pascal-paradis-de-avocats-sans-frontieres-canada/> (consulté le 23 janvier 2019).
[9] Matt ROSENBERG, « Oh Canada! Lateral Moves To And From Our Northern Neighbors », Above The Law, en ligne : <https://abovethelaw.com/2016/03/oh-canada-lateral-moves-to-and-from-our-northern-neighbors/?rf=1> (consulté le 20 janvier 2019).
[10] Id.
[11] Nathan KOPPEL, « Bankruptcy Lawyers Regain Glory, Demand », The Wall Street Journal, en ligne : <https://www.wsj.com/articles/SB123552392772565341> (consulté le 28 janvier 2019).
[12] Matt ROSENBERG, préc., note 9.
[13] Céline GOBERT, « Du Québec à Hollywood », Droit.inc., en ligne: <http://www.droit-inc.com/article23083-Du-Quebec-a-Hollywood&highlight=cantin> (consulté le 23 janvier 2019).
[14] MINISTÈRE DE L’EUROPE ET DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, « L’entente franco-québécoise sur la reconnaissance des qualifications professionnelles », en ligne : <https://quebec.consulfrance.org/L-Entente-franco-Quebecoise-sur-la-reconnaissance-des-qualifications> (consulté le 23 janvier 2019).
[15] Céline GOBERT, « Partir pratiquer en France: une bonne idée ?», Droit.inc., en ligne: <http://www.droit-inc.com/article7111-Partir-pratiquer-en-France-une-bonne-idee> (consulté le 24 janvier 2019).
[16] AVOCATS HORS QUÉBEC, « La relève : Philippe Bouchard, avocat à Paris », Avocats Hors Québec, en ligne: <http://www.avocatshorsquebec.org/site/les-nouvelles/1-latest-news/218-la-releve-philippe-bouchard-avocat-a-paris.html> (consulté le 25 janvier 2019).
[17] Céline GOBERT, préc., note 13.